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SOLIDARITE - Inutilisés en dehors des horaires de bureaux, les locaux de ces entreprises sont mis à disposition de personnes en grande précarité.

Il ne le sait pas encore, mais l'aventure des Bureaux du Coeur démarre après un dîner donné chez lui il y a plus de trois ans. Autour de la table, Pierre-Yves Loaëc reçoit des amis qui hébergent un migrant. S'il ne se sent pas encore prêt à en faire de même et à accueillir un inconnu chez lui, la petite graine est plantée et une rencontre marquante va lui permettre de faire germer son projet solidaire, d'agir à sa façon.

Elle a lieu au cours d'un hiver particulièrement rude. Chaque matin, alors qu'il se rend à son bureau dans le centre de Nantes, il croise une femme qui cherche un peu de chaleur près d'une bouche d'aération. Et là, ça fait tilt. “Dans notre vieil immeuble, nous avions des problèmes de chauffage et nous étions obligés de chauffer nos bureaux la nuit pour avoir chaud la journée, explique Pierre-Yves. Nous disposions d'une cuisine, d'une douche, de toilettes, bref, il ne manquait pas grand-chose pour que je puisse proposer à cette femme de l'héberger avec dignité”. Mais le projet, encore balbutiant, ne permet pas encore de proposer un toit à cette personne sans-abri, faute de réel encadrement social. 

Le soir, ils ouvrent leurs bureaux et les proposent aux sans-abris

Entrepreneur dans l'âme, Pierre-Yves Loaëc, dirigeant de l'agence de communication Nobilito à Nantes, réunit autour de lui une dizaine de dirigeants du CJD (Centre des Jeunes Dirigeants), mouvement patronal qu'il préside.

L'idée ? Les convaincre d'ouvrir les portes de leurs locaux d'entreprise vacants à des personnes dans le besoin qui pourront profiter des espaces chauffés et aménagés avant l'arrivée et le départ des employés, mais également tout au long des week-ends.

Pour les aider, le collectif fait appel à des associations locales partenaires qui luttent contre le mal-logement. À travers des activités, comme l'édition de CV, des cours de langue ou encore une réflexion autour du projet de vie, elles facilitent la réinsertion des sans-abris hébergés. C'est le cas de l'Association Saint Benoît Labre qui vient en aide à Elizabeth, première invitée (terme utilisé par l'asso) des Bureaux du Cœur. 

Malgré un emploi stable, celle-ci ne peut s'offrir un logement et dort donc dans sa voiture. C'est dans ce contexte particulièrement éreintant qu'elle est accueillie dans les bureaux de ACM Ingénierie entreprise.

Ici, elle peut ainsi profiter d'un espace chauffé d'une quarantaine de mètres carrés, propre et sécurisé, disposant d'un coin nuit avec canapé lit, d'un coin cuisine, d'armoires fermées à clé, de sanitaires et d'une douche. Un confort qui lui permet de repartir du bon pied et ce, sans aucune contrepartie financière ou de travail non rémunéré au sein de l'entreprise.

Un mois après son arrivée, elle a pu stabiliser sa situation professionnelle et trouver un logement pour elle et son fils. 

Favoriser le lien social entre collaborateurs et invité-es

Plus qu'un simple hébergement d'urgence, les Bureaux du Cœur ont pour vocation de créer du lien social et d'aider les invité-es dans leurs démarches personnelles et professionnelles. Le matin, souvent autour d'un café, collaborateurs, collaboratrices et invité-es échangent, s'entraident et tissent de vrais liens d'amitié. Un élan de solidarité qui s'étend jusque dans le quartier puisque certains restaurateurs voisins leur offrent également un repas le soir.

“En quelques mois, j'ai vu mes collaborateurs aider nos invité-es à refaire leur CV, leur donner un smartphone inutilisé, demander des nouvelles, proposer d'apporter de la nourriture ou des attestations pendant le confinement, se réjouit Pierre-Yves Loaëc. L'une des plus belles surprises de cette initiative, c'est l'engagement spontané des collaborateurs auprès des invité-es.”

Il évoque Buba, un migrant gambien, qui a passé 7 mois dans une entreprise hôte (soit plus de temps que la durée maximale fixée à 6 mois, les délais se voulant souples). “Il nous appelait, mon épouse et moi, sister et brother. [...] C'est une émotion incroyable”, se souvient-il avec tendresse.

Depuis la crise, la situation des sans-abris toujours plus précaire

Si les relations auraient pu être fragilisées par la crise du Covid-19 et les confinements successifs, privant les invité-es de lien social avec les collaborateurs tenus de télétravailler, Buba reste convaincu de la chance qui lui a été donnée : "À Nantes, c'est dur de trouver une place dans un foyer. Donc pouvoir dormir ici, c'est important pour moi ; c'est ça ou la rue, je n'ai pas d'autres choix”, déclarait-il il y a peu. Depuis son passage, il a pu intégrer un programme de réinsertion au sein de l'association Saint Benoît Labre. 

Souleymane Diarra dans le bureau transformé en chambre. © Bureaux du Cœur

Deux ans après la création du projet, c'est une dizaine de personnes qui a été accueillie par les Bureaux du Cœur, parmi lesquelles six sont encore hébergées dans des entreprises.

Si la ville de Nantes s'est vue offrir 400 places d'accueil supplémentaires en foyer lors du dernier confinement, cela reste trop peu, compte tenu de la situation des sans-abris, de plus en plus fragile depuis un an.

En France, selon les chiffres de la Fondation Abbé-Pierre, 300 000 personnes vivent dans la rue ou dans des hébergements d'urgence en 2021. “On sait qu'on ne va pas régler le problème du mal-logement, mais on veut apporter un peu d'aide et on se dit qu'une personne accueillie aux Bureaux, c'est une personne de moins dans la rue”, assure Amandine Perraud, porte-parole de l'asso. 

Une belle initiative qui pourrait être prochainement dupliquée à Paris, Lille, Annecy, Sète, Toulouse et Cholet. “On a des relais dans ces villes, mais on n'accueille pas encore, on cherche des associations partenaires pour pouvoir accueillir le plus vite possible”, indique Amandine. À bon entendeur…