Amélie Clère et Amélie Clère - Publié le 19 mai 2025
SOLIDARITÉ - Fuir son pays, traverser des déserts, affronter la mer, survivre à la précarité et au rejet… Et enfin, poser ses valises dans un lieu où l'on peut simplement être soi. C'est ce que propose l'association Famille au Grand Cœur.
"Aujourd'hui, plus de 60 pays condamnent l'homosexualité, dont 12 à mort". Andrew dresse ce triste constat, reflet glaçant d'une réalité que vivent encore de nombreuses personnes en 2025. Chargé de communication pour Famille au Grand Cœur, il porte la voix d'une association fondée par et pour des jeunes migrants LGBT+ ayant fui leur pays pour survivre. Le but de l'association ? Leur offrir un lieu sûr, où ils puissent enfin être eux-mêmes et s'intégrer dans la société sans crainte. Avec le soutien de la Fondation Castorama, Famille au Grand Cœur a récemment ouvert une maison d'accueil essentielle pour ces jeunes. Un projet humain et solidaire, qui dépasse largement la simple notion d'hébergement.
Une association essentielle pour les migrants LGBT+
Formée en 2021 par douze personnes concernées, Famille au Grand Cœur est une association accompagnant les personnes migrantes LGBT+ qui ont dû quitter leur pays en raison de leur orientation sexuelle. Dans les sociétés où l'homosexualité est interdite par la loi, l'homophobie est omniprésente, et ce, jusque dans les familles. "Les agressions, la torture, voire les lynchages en pleine rue sont banalisés. Et pour certaines familles, c'est même pire que la mort : en plus de rejeter leurs enfants, elles n'hésitent pas à les menacer parce qu'elles ne veulent pas que ça se sache !", témoigne Andrew.

Ainsi, pour sauver leur vie et dans l'espoir d'en reconstruire une nouvelle, ces jeunes quittent tout, souvent sur un coup de tête et sans ressources, traversant plusieurs pays avant d'arriver sur le sol français. Mais à leur arrivée, les traumatismes sont encore là. Étant donné que, même dans les structures d'accueil "généralistes", le sujet reste souvent tabou, ces jeunes préfèrent se taire par peur d'être stigmatisés à nouveau. "Ils n'osent pas se confier, surtout à ceux qui viennent du même pays. Ils ont besoin d'un espace où ils se sentent en sécurité. C'est pour cela que l'association a été créée : pour qu'en arrivant en France, elles trouvent un lieu où elles peuvent parler librement de qui elles sont", ajoute-t-il.

Mettant l'humain au centre et revendiquant une gouvernance par les premiers concernés, le conseil d'administration de l'association est composé à 100 % de personnes migrantes LGBT+. L'organisme accueille des jeunes de 18 à 30 ans, sans solution d'hébergement, et les suit dans leur reconstruction, avec une parole libérée et un engagement fort pour l'inclusion en agissant aussi à l'extérieur : sensibilisation dans les lycées, rencontres avec des politiques, partenariats avec des entreprises…
Un lieu de vie solidaire, rénové avec le soutien de Castorama
Pour de nombreuses personnes migrantes LGBT+, l'exil ne met pas fin aux violences. En France, la question de l'hébergement reste une urgence :"50 % des migrants ne sont pas hébergés, toutes orientations confondues. Et pour les personnes LGBT+, c'est encore plus compliqué : souvent, elles se retrouvent logées avec des gens de leur pays d'origine, qui partagent les mêmes stéréotypes et les mêmes rejets qu'elles ont fui", dit Andrew. Face à ce constat, l'association a lancé en janvier 2024 son nouveau projet "Le Mas", une maison d'accueil unique en son genre, réservée aux jeunes exilés LGBT+.

Le Mas accueille jusqu'à 12 résidents de façon permanente, avec quelques lits supplémentaires pour d'autres bénéficiaires ou bénévoles vivant loin. Mais plus qu'un simple toit, cette maison est pensée comme un lieu de reconstruction, d'autonomie, de réappropriation. Depuis mars, les jeunes participent activement à la rénovation de la maison : choix des matériaux, accueil des artisans, réunions hebdomadaires pour suivre l'avancement des travaux...
C'est la première fois que je parle avec un artisan en France. J'ai compris comment ils vont changer la douche. J'ai envie d'apprendre !
Moussa, résident au Mas
C'est pas juste des travaux. C'est chez nous. On veut que ce soit beau, propre, et qu'on s'y sente bien.
Bangaly, résident au Mas
Ce projet de rénovation est soutenu par la Fondation Castorama, qui a apporté un financement de 15 000 € pour les travaux. Mais cet engagement va bien au-delà ! En effet des collaborateurs Castorama repeindront eux-mêmes certaines pièces, comme la cuisine. "Ils ont été très touchés par ce qu'on fait, et ont voulu s'investir personnellement", souligne Andrew.
Grâce aux artisans partenaires (peintres, électriciens, carreleurs, menuisiers…), Le Mas pourra bientôt bénéficier de fenêtres à double vitrage, d'un nouveau carrelage, de peintures refaites dans la salle de bains, et d'un potager extérieur que les jeunes construisent eux-mêmes avec un bénévole bricoleur et jardinier. Calem, un des résidents du Mas, raconte fièrement : "Les artisans nous ont parlé gentiment. J'ai montré la salle de bains et j'ai dit ce que j'aimerais changer". Ici, chaque geste compte, et même les travaux deviennent une étape vers la guérison et l'autonomie.

Au-delà de l'hébergement : une mission d'émancipation et de plaidoyer
L'accompagnement ne s'arrête pas aux murs du Mas. L'association aide également les jeunes à se reconstruire et à s'émanciper. "Au-delà de l'hébergement, on a aussi un local d'accueil, un lieu de vie et d'échange, où les jeunes peuvent venir se poser, discuter, passer du temps ensemble", explique Andrew. Des cours de français, d'informatique ou d'histoire y sont régulièrement proposés par des bénévoles, avec pour objectif de favoriser l'insertion sociale et professionnelle. Ce lieu centralise aussi les rendez-vous individuels avec une travailleuse sociale, qui les aide dans leurs démarches administratives.

De plus, chaque semaine, les jeunes rencontrent une psychologue de l'association. Son rôle est crucial : "Ils ont traversé la mer, des déserts à pied, ils ont risqué leur vie. Et en plus, en tant que personnes LGBT+, ils ont souvent été rejetés et agressés. Ils arrivent ici avec beaucoup de traumatismes. La psy est là pour essayer de les faire avancer, pour leur redonner espoir". Des groupes de parole mensuels permettent aussi d'ouvrir la discussion sur des sujets encore tabous. "Pour beaucoup, même entre eux, c'est la première fois qu'ils parlent de leur orientation. Ils n'ont pas les mots".
Un enjeu d'autant plus fort que ces récits intimes sont souvent nécessaires pour l'examen de leur demande d'asile. L'association les prépare donc en amont aux entretiens avec l'OFPRA (Office français de protection des réfugiés et apatrides) ou la CNDA (Cour Nationale du Droit d'Asile), en organisant des simulations pour qu'ils puissent verbaliser leur histoire et mettre des mots sur ce qu'ils ont toujours dû taire.

Pour continuer à mener toutes ces actions, l'association a besoin de financements pérennes. "Le plus difficile, c'est de réussir à faire en sorte que tout ce qu'on fait puisse durer dans le temps", confie Andrew. En plus de l'accueil, Famille au Grand Cœur porte une mission essentielle : offrir un avenir possible à des jeunes qui pensaient ne jamais en avoir.