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SOLIDARITÉ - L'association Extramuros organise des chantiers éducatifs dans les quartiers populaires pour redonner confiance en eux à des jeunes en rupture professionnelle. Rencontre.

Apprendre à faire soi-même pour gagner en confiance en soi. C'est le crédo de l'association Extramuros, qui récupère du bois de seconde main pour en faire des meubles et organise des chantiers éducatifs dans les quartiers populaires.

© Hugo Passarello Luna

À travers la construction d'une cabane de jardin, de bancs ou d'autres pièces de mobilier urbain, le but est de transmettre un savoir-faire à des jeunes en rupture scolaire ou professionnelle.

Nous nous sommes rendus sur l'un de ces chantiers, au nord de Paris, où nous avons fait la rencontre de Malika, Mehdi, Barakissa et Makou. Pendant une dizaine de jours, ces quatre jeunes du 20ème arrondissement de Paris ont participé à une aventure collective, éreintante parfois, valorisante, toujours.

Un chantier participatif au coeur de la cité Bonnier

© Hugo Passarello Luna

Il faut grimper sur les hauteurs de Paris, tout en haut de la rue de Ménilmontant, pour atteindre le jardin Pierre Seghers.

C'est ici, au coeur de la cité Bonnier, que les jeunes encadrés par deux menuisiers, Clément et Harouna, ainsi que leur éducateur, participent à la construction d'une terrasse. “Elle a vocation à être un espace de danse et pourquoi pas une scène de concert”, nous explique Clément, 30 ans.

Ce projet est le fruit d'une concertation entre plusieurs acteurs institutionnels et associatifs, sans oublier les habitant-es de la cité Bonnier, un quartier de HLM en réhabilitation.

C'est la fondation Jeunesse Feu Vert qui s'est chargée de recruter les quatre jeunes du quartier par l'intermédiaire de l'association Novemploi. Cette dernière a fait appel aux menuisiers d'Extramuros pour mener à bien le chantier.

Aujourd'hui, la troupe s'affaire à la pose des planches, sur la partie haute de la scène. L'après-midi est rythmée par la découpe du bois, le transport des planches et les pauses cigarettes sur un banc du jardin.

Équipés de leurs lunettes de sécurité et de leurs chaussures de chantier, les apprentis menuisiers ressemblent à de vrais professionnels. L'ambiance est bon enfant, les blagues fusent, le groupe parait soudé.

Mais le détachement qu'ils arborent n'est qu'une façade, les participant-es du chantier manient les outils avec une précision méticuleuse.

Malika : des courbatures mais une fierté non dissimulée

© Hugo Passarello Luna

J'aurais aimé faire ça à l'école”, nous lance Malika, tout juste 18 ans, qui a obtenu en juillet dernier son baccalauréat. Avant de se lancer dans le grand bain de la vie professionnelle ou des études, la jeune femme, a décidé de se laisser un peu de temps.

Le chantier participatif tombait à pic : “on m'a appelé car il y en a qui ne se sont pas présentées. Du coup, j'ai proposé à mes deux copines.” Originaire du quartier, elle connaît bien le square, mais assure qu'elle n'aurait pas trouvé le projet moins intéressant s'il avait eu lieu ailleurs.

Malgré les courbatures des premiers jours, Malika est fière du travail accompli. “Je sais faire une terrasse maintenant”, nous lance-t-elle après nous avoir expliqué la différence entre une lambourde et une planche.

La satisfaction de se rendre utile, d'améliorer la vie de ce quartier qui l'a vue grandir est une source de motivation pour la jeune femme. “Les gens nous encouragent”, explique-t-elle, alors que des curieux observent l'avancée des travaux à travers les grilles du jardin.

Clément : “Le but n'est pas de faire d'eux des menuisiers”

© Hugo Passarello Luna

Le but n'est pas de faire d'eux des menuisiers”, nous annonce Clément, mais “de les placer en position d'autonomie.” Plus que la transmission de connaissances, c'est la dimension pédagogique du projet qui intéresse le menuisier.

Chargé de traduire en termes techniques les dessins de la terrasse, Clément laisse une grande liberté aux jeunes pour les responsabiliser. “On peut leur faire confiance”, confie-t-il, tout en gardant un œil sur l'avancée des travaux.

Le jeune âge de ses élèves, qu'il suit pendant deux semaines environ, ne change rien à se manière de faire, bien qu'il reconnaisse que “parfois, ils mettent du temps à s'impliquer sur un chantier”, explique-t-il en

Une difficulté qui, selon lui, est dépassée par la connaissance qu'ont les jeunes de leur quartier : ils anticipent souvent des problématiques insoupçonnables pour les membres de l'association.

Parfois ils nous préviennent, vous allez voir, ‘ça va être cassé par les petits qui jouent au foot', ils ont souvent raison”, illustre Clément.

Harouna : transmettre pour grandir

© Hugo Passarello Luna

Je veux leurs transmettre ce que je sais, ce que j'ai appris”, explique Harouna d'une voix calme et bienveillante.

Comme ses jeunes apprentis, il connaît la difficulté de trouver un emploi, d'être accepté. Originaire du Sénégal, arrivé en France il y a deux ans et demie, Harouna a eu du mal de trouver un travail de menuisier. “Ce n'était pas facile, on me demandait des certificats en permanence. J'ai fait de la manutention en attendant de trouver quelque chose”, se souvient-il.  

Celui que Barakissa surnomme “le grand frère du chantier” a finalement envoyé son CV à l'association Extramurros, qui, elle, ne lui a pas demandé de certificat.

Depuis, il enseigne l'art de la découpe et les mesures de sécurité obligatoire. Sans oublier le travail en équipe. “C'est le plus important”, précise-t-il.

Fin de journée à la cité Bonnier

© Hugo Passarello Luna

Fin de journée sur le chantier participatif de la cité Bonnier. Après un passage rapide dans les vestiaires, Malika, Mehdi, Barakissa et Makou mettent les voiles. Harouna et Clément partagent une cigarette dans les locaux de l'association.

La fin du chantier est prévue pour la fin de semaine, il reste encore 3 jours pour “terminer de plancher, poser les garde-corps et lasurer“, nous rappelle Clément. Et le menuisier d'ajouter : “le travail est répétitif, pourtant c'est un groupe qui fonctionne très bien.” Harouna acquiesce.

Malheureusement, il n'est pas toujours évident de garder contact avec celles et ceux dont ils croisent la route. “J'aimerais bien connaître la suite, savoir s'ils ont trouvé un travail”, nous livre-t-il. Les deux encadrants se souviennent de ce jeune qui, a la suite d'un chantier participatif, s'est pris de passion pour la menuiserie et a enchaîné avec un stage à Gennevilliers.

Bien qu'elle ne permette pas l'obtention d'un diplôme, la formation est un moyen de se voir attribuer une “attestation de compétence.” Plus qu'une ligne sur un CV, le chantier participatif est une aventure valorisante qui reconnecte des jeunes avec le collectif, dont ils se sentent parfois exclu.

© Hugo Passarello Luna

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