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COUPLE - Simple transition ou choix de vie ? Une chose est certaine, les couples non-cohabitants refusent de faire de la vie commune un critère de leur histoire d'amour.

Je t'aime énormément mais je n'ai pas envie de vivre avec quelqu'un tu comprends ? Je veux vivre seule. Je veux pouvoir péter dans mes draps tranquille, rentrer à n'importe quelle heure, bouffer sur un coin de table, inviter des copains, faire le ménage seulement une fois par an si ça me chante...”

Dans cet extrait piquant du film “La Crise”, Isabelle, le personnage interprété par Zabou Breitman opte pour la non co-habitation, en d'autres termes : être en couple mais chacun chez soi.

Cette histoire portée à l'écran en 1992 trouverait de plus en plus d'échos dans la société actuelle. Selon un rapport publié en février 2018, par l'Institut National d'Études Démographiques (Ined), “La famille à distance”, 1,2 millions de Français-es en couple ont choisi ce style de vie.

Il est un peu tôt pour parler de tendance généralisée, puisque ces Français ne représentent que 2,7% des personnes se déclarant en couple. Toutefois, la non-cohabitation illustre un profond bouleversement de la manière de percevoir le couple.

Une modification de la perception du couple

Au 19ème siècle, vivre sous le même toit et partager le lit conjugal était un socle de la vie commune. Ce que résumait Balzac en 1830 dans Physiologie du mariage avec la formule lapidaire : “le lit est tout le mariage.” Non sans ironie, puisque comme le rappelle l'historienne Michelle Perrot dans Histoire de chambres (Le Seuil, 2009), le célèbre écrivain n'avait pas opté personnellement pour le lit conjugal.

La société contemporaine a quelque peu changé la donne ! Habiter le même appartement, la même maison, a perdu son caractère central dans la définition de la conjugalité. Le sociologue Christophe Giraud, auteur de L'amour réaliste (Ed. Armand Colin) confirme : “le logement est un critère qui ne permet plus de distinguer ce qui est un couple ou pas.” D'ailleurs l'achat d'un appartement est aujourd'hui perçu comme plus engageant que le mariage.

Une chose est sûre, les couples “non cohabitants” ou “living apart together” comme les surnomme les Anglo-saxons cassent les codes ! C'est le cas de Manuela, 27 ans, et de son copain, qui, après 6 mois de vie commune dans l'appartement de ce dernier, ont décidé de ne plus vivre ensemble, sans pour autant se séparer. “J'avais l'impression de vivre chez quelqu'un surtout lorsque l'on se disputait”, explique Manuela.

Ce qui peut ressembler à un pas en arrière dans une relation de couple ne l'est finalement pas du tout. Elle explique : “c'était une très bonne idée, ça nous a permis d'équilibrer notre relation car nous étions plus indépendants l'un de l'autre.” Et d'ajouter : “Nous sommes redevenus deux amants, et non plus simplement un couple.

La peur d'abdiquer une forme de liberté

Pour la psychologue et psychothérapeute de couple, autrice de “Ma boîte pour être un couple épanoui”, Camille Rochet, la volonté de non-cohabitation s'explique avant tout par la peur d'abdiquer une certaine forme de liberté.  “Ce n'est pas un manque d'amour. Souvent les personnes ont fait l'expérience du célibat et craignent de ne pas réussir à sentir libre en etant en couple.”

Mais qui sont-ils ces couples non-cohabitants ? Selon Christophe Giraud, la volonté de ne pas vivre ensemble s'exprime à deux moments de la vie, de manière différente. Chez les jeunes “qui ne sont pas encore sûrs de leurs sentiments, de vouloir passer à l'étape suivante” et les personnes plus âgées.

Ce sont souvent des divorcés, qui refusent de se réinstaller avec une nouvelle personne par peur de mettre en danger leur famille en y intégrant une personne étrangère”, explique-t-il. Ces personnes trouvent dans la non-cohabitation un compromis pratique qui s'apparente à un idéal de vie à deux. Encore plus pratique, un cabinet d'architecture néerlandais a mis au point une maison qui se sépare en deux en cas de divorce.

Un constat que partage la psychologue : “quand on creuse, on se rend compte que ce sont souvent des couples qui ont beaucoup souffert de la vie à deux.

“Être centré sur ce que l'on a envie de donner à l'autre”

Ce n'est pourtant pas l'impression que laisse le témoignage de Charlotte (le prénom a été modifié), 45 ans qui a vécu en couple avec son compagnon pendant 15 ans environ, chacun dans son appartement parisien.

Un choix “qui correspondait à nos caractères. Un appartement commun impose la réconciliation lorsque l'on se dispute par exemple”, explique-t-elle. Pour Charlotte et son compagnon, la réconciliation doit être un geste spontané, pas une situation que l'appartement impose par le fait d'être contraint de se croiser.

Le couple, qui vit à quelques rues l'un de l'autre, a même conservé ce modèle de non-cohabitation après la naissance de leur enfant. Pendant 7 ans, leur fils trimballe ses jouets d'un côté et de l'autre de la rue. “Tout cela était très fluide”, assure Charlotte bien que l'appartement de son conjoint, plus spacieux, joue tout de même le rôle de “l'appartement familial”.

Forcément le tableau n'est pas toujours tout rose. Charlotte reconnait avoir vécu de grands moments de fatigue : “on se dit que cela serait quand même plus simple si le gilet rouge restait en permanence dans le même appartement.

Bien qu'aujourd'hui séparée de son conjoint, elle ne regrette pas ses années de non-cohabitation. “C'était une histoire de confiance. Le fait que le matériel ne nous ait jamais obligé, permet d'être centré sur ce que l'on a envie de donner à l'autre”, ajoute Charlotte. Une conception libre du couple dans laquelle “la vie commune, la fidélité” n'avaient “pas de sens.

La non-cohabitation n'est pas un idéal romantique

Néanmoins, le couple de Charlotte fait figure d'exception : seuls 22% des couples non-cohabitants passent la barre des trois ans selon l'étude de l'Ined. La non-cohabitation reste une phase de transition pour beaucoup.

La non-cohabitation n'a jamais été un modèle, cela ne fait pas partie des schémas romantiques. L'amour reste associée à une vie commune”, précise Christophe Giraud.

D'ailleurs, depuis deux semaines Manuela expérimente à nouveau la vie à deux dans l'appartement de son copain, “une sorte de période d'essai” qui doit va durer “5 à 6 mois.”

À la fin de ce nouveau contrat amoureux, le couple tranchera mais Manuela l'assure : elle a beau trouver le couple "un peu chiant”, “emménager ensemble demeure une étape obligatoire de la vie de couple.” La jeunesse serait-elle conformiste ?