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SOLIDARITÉ - Le dispositif Merci pour l'invit' permet aux femmes en grande précarité de trouver refuge pendant plusieurs mois chez des particuliers.

On se demande souvent comment venir en aide aux personnes sans-abri. Et si on commençait par les héberger chez soi pour les sortir de la rue ? C'est l'expérience solidaire qu'ont souhaité vivre Guillaume et Valentine, tous les deux 29 ans, qui vivent ensemble dans leur appartement du 20ème arrondissement de Paris. 

Le jeune couple réfléchit à un moyen de se rendre utile, de s'impliquer dans une activité sociale. “Dans l'appartement que l'on a acheté il y a trois ans, on a une chambre en plus. On trouvait ça dommage à Paris car on sait qu'il y a des gens qui en ont besoin. C'est ridicule d'avoir une pièce vide”, nous raconte Guillaume par téléphone. 

Alors pour profiter de cet espace qu'ils n'utilisent pas, les deux Parisiens partent à la recherche d'une structure qui pourrait les mettre en relation avec une personne qui en a besoin. Ils pensent dans un premier temps aux migrants mais découvrent le dispositif Merci pour l'invit' mis en place par l'association Solinum, un programme d'hébergement citoyen de femmes qui sont en situation de rue. 

“Les hébergements d'urgence ne sont pas adaptés au public féminin”

Quand on habite en ville, difficile de fermer les yeux sur la question du sans-abrisme que l'on retrouve à chaque coin de rue. Valentine confirme : “Quand je suis arrivée à Paris, je me suis rendue compte qu'il y avait beaucoup de personnes qui dormaient dans la rue, ça brise le cœur.” 

Carmen Filitti, chargée du projet, explique le choix de réserver le dispositif Merci pour l'invit' aux femmes uniquement. “En France, 40 % des sans-abri sont des femmes. Les hébergements d'urgence ne sont pas adaptés au public féminin car ils sont soit uniquement pour les hommes ou mixtes. Dans ces centres, elles peuvent se faire violer, voler ou agresser”, indique-t-elle. 

Merci pour l'invit répond aux attentes de Valentine, qui confie : “Si j'avais dû me retrouver toute seule avec un homme dans l'appartement, ça aurait été compliqué parfois.

Après avoir un premier contact avec le site Internet du programme, Merci pour l'invit' met le couple en lien avec des femmes qui cherchent à être hébergées. Les femmes sans-abri accompagnées par l'association sont en situation de grande précarité. Envoyées par des travailleurs sociaux, elles doivent néanmoins répondre à quelques critères pour pouvoir être hébergées chez les particuliers. “Elles ne doivent pas être en situation d'addiction qui pourrait mettre en danger les hébergeurs, elles ne doivent pas avoir de lourdes pathologies psychiatriques et doivent être en situation régulière ou régularisable”, précise Carmen Filitti. 

Ouvre les portes de sa maison mais ne pas se transformer en travailleur social 

Une fois ces prérequis réunis, l'association organise une rencontre au domicile des futurs hébergeurs. “Les gens de l'association ont beaucoup de tact. Ils font en sorte que la rencontre se passe bien, car ce n'est pas forcément facile pour le premier contact. Après cette rencontre, on peut dire si on le sent ou pas et la personne hébergée aussi. On s'est sentis libres et pas contraints, ça facilite les choses”, se souvient Valentine. 

C'est autour d'un thé que Valentine et Guillaume ont fait la connaissance de la femme qu'ils ont reçu chez eux. Le couple ne souhaitant pas divulguer d'information personnelle sur cette dernière, nous saurons simplement qu'elle n'est pas d'origine française et qu'elle a entre 45 et 50 ans. “C'est quelqu'un qui travaille énormément et qui risquait de se retrouver à la rue car elle attendait un logement social. Nous l'avons aidée pour passer cette phase difficile”, explique Guillaume. 

Car cet hébergement solidaire n'est pas une fin en soi, comme le rappelle Carmen Filitti : “Cette période de stabilité qui est offerte à la femme est faite pour rebondir et se remettre le pied à l'étrier Tout au long de l'hébergement, elle est accompagnée par un travailleur social qui va l'aider à se réinsérer.” En effet, pas question pour les hébergeurs de jouer l'accompagnateur social de la personne qu'ils reçoivent. “Ce n'est pas notre métier. Il est très important de définir les rôles sinon ça peut être lourd pour eux de vivre avec des gens qui se prennent pour des travailleurs sociaux”, insiste Valentine. 

Une cohabitation qui ressemble à la vie en colocation

La femme que le couple héberge arrive dans leur appartement fin février 2020. Pour apprendre à la connaître, Guillaume et Valentine s'engagent sur une période d'un mois, le minimum requis par Merci pour l'invit' étant de deux semaines. Elle dispose d'une chambre de 8 m²

 qui a été meublée et aménagée pour l'occasion. Comme dans une colocation, le couple et la colocatrice partagent les espaces communs, la cuisine, la salle de bains. Elle a même un étage qui lui est réservé dans le frigidaire. 

Malgré cela, la femme hébergée passe au départ la plupart de son temps dans sa chambre. “On n'avait pas les mêmes horaires de travail. On la voyait assez peu. Elle avait besoin de calme, de temps pour elle”, raconte Valentine. Les conversations tournent autour des choses pratiques : “Je vais faire une machine ? Tu veux mettre quelque chose ?”, se remémore Valentine. Mais c'est autour de ces gestes du quotidien que la relation se crée. “Elle était en train d'étendre son linge et on s'est mise à discuter, à parler de nos familles, du passé. On a construit une amitié très forte”, ajoute-t-elle. 

Avant de recevoir cette femme en difficulté, Guillaume et Valentine ont signé avec elle, Merci pour l'invit' et un travailleur social, une convention qui fixe les conditions de l'hébergement : est-ce que l'hébergée a les clés ? Participe-t-elle aux frais de la maison ? Les dîners sont-ils pris ensemble ? Bien que le dispositif insiste pour que les hébergeurs et hébergées passent des moments ensemble, le couple prévient en amont qu'il leur sera difficile de dégager des moments en semaine : “Notre travail nous prend beaucoup de temps. On a expliqué que si on était amené à vivre ensemble, on n'allait pas beaucoup se voir la semaine”, précise Guillaume. 

Une période de confinement pour partager, échanger et se soutenir 

Mais le confinement vient bouleverser le cadre établi. Alors qu'ils ne faisaient que se croiser, les trois colocataires se retrouvent 24h/24 ensemble. “Au départ, elle a eu très peur de déranger. Pour ne pas qu'elle se sente de trop, on a instauré le fait qu'on dînerait ensemble tous les soirs. C'était incroyable”, évoque avec émotion Valentine. 

Cette femme qui vivait une période difficile se livre et s'étonne de l'amour que lui donnent Guillaume et Valentine, tous les deux “très croyants”. Guillaume nous confie même : “On ne se rappelle pas d'avoir été bloqués à l'intérieur pendant le confinement, mais on se souvient de ce que l'on a partagé.

À la fin du confinement, Guillaume et Valentine s'apprêtent à prolonger l'hébergement de leur colocataire jusqu'à fin août, mais cette dernière apprend qu'on lui a trouvé un logement social. “En 48 heures, elle était partie. Les adieux ont été durs. C'était très émouvant de la voir partir mais on était heureux de savoir qu'elle récupérait son chez elle”, reconnaît Guillaume. 

Le dispositif, qui existe depuis deux ans, a permis à 36 femmes d'être hébergées à Paris ou à Bordeaux. Mais Merci pour l'invit' pourrait s'exporter à Lille et Dunkerque, nous apprend Carmen Filitti. Pour le moment, le couple de Parisiens n'a pas hébergé une nouvelle femme sans-abri, mais compte bien renouveler l'expérience prochainement. En attendant, ils gardent contact avec leur nouvelle amie et ont prévu de passer les fêtes de fin d'année en sa compagnie.