|

TUFFEAU OU TUFFEAU PAS ? - Si le dessinateur Simon Hureau a consacré une bande dessinée à son jardin, il voue aussi une partie de son temps à restaurer sa maison.

Il y a pile un an, nous visitions un jardin extraordinaire, foisonnant, sauvage. Celui de Simon Hureau, auteur de bandes dessinées qui nous ouvrait ses portes à l'occasion de la sortie de son livre L'Oasis, le récit en images de ce jardin passé d'un état de délabrement à celui d'oasis, donc. Nous avions tant déambulé entre les arbres, le poulailler, le verger et le potager qu'on en avait oublié de s'émerveiller de la bâtisse qui les surplombait.

Situé en Touraine, pays de la pierre de tuffeau, entre Saumur et Tours, la maison de Simon date du XVIe siècle, mais tout comme le jardin elle a été victime de ses propriétaires durant les années 70 et 80. A l'époque, il n'était ni question de préserver la biodiversité, ni de respecter le charme patrimonial des demeures anciennes et remplies d'histoire. La "tendance" de l'époque voulait qu'on cache les vieilles pierres et les poutres, c'est pourquoi il faut aujourd'hui gratter derrière tout ce pseudo-vernis moderniste pour retrouver la beauté d'origine.

Les frères Caballero, artisans d'un savoir-faire oublié

Pourtant très occupés, Simon et sa compagne passent le plus clair de leur temps libre à remettre à l'air libre ce que le temps n'a fait qu'enfouir. "On y travaille énormément, nous explique Simon, récemment on a arraché un vieux carrelage moche, et pour le remplacer on est allés chercher deux frères qui ont une petite industrie locale, les frères Caballero, ils font à la main des moules en bois pour fabriquer des carreaux de terre cuite locale !"

Ces carreaux, Simon les connaît bien car il a récupéré ceux qu'une voisine voulait jeter à la déchetterie (un comble !) pour les trier, les nettoyer, les restaurer puis les mettre sur le sol de sa salle de bains, entremêlés avec des cabochons noirs en terre de la Rouchouze réalisés par les mêmes frères Caballero. "J'ai fait faire le meuble vasque en chêne et en granit sur mesure, nous raconte Simon, je l'ai dessiné puis fait faire par un menuisier. La faïence est faite en terre locale par les frères Caballero... Ils sont hélas proches de la retraite, il faudrait que quelqu'un prenne leur relève !"

Une salle de bains d'une maison ancienne avec des carreaux en terre cuite
© Simon Hureau / La salle de bains et ses carreaux en terre cuite
Des carreaux en terre cuite dans une salle de bains
© Simon Hureau / Des carreaux récupérés chez la voisine et des cabochons noirs en terre de la Rouchouze
Une salle de bains restaurée avec un meuble vasque en beau granit noir
© Simon Hureau / Un beau meuble vasque en bois dessiné par Simon Hureau pour son menuisier

"Le torchis, c'est addictif comme truc"

Dans le salon trône une belle bibliothèque en peuplier, une essence de bois locale, tandis que les placards autour de la cheminée, datant elle aussi du XVIe, ont été fabriqués avec de vieilles portes chinées et restaurées ("interminable décapage à la main, dans les moindres moulures", nous précise le dessinateur). A côté, notre passionné a refait à l'ancienne une cloison avec une fenêtre intérieure en huisserie de peuplier, encadrée par un pan de bois et des hourdis de torchis.

Le torchis, parlons-en ! Simon adore travailler ce matériau : "Ici tous les sols sont faits en torchis et aucun artisan ne fera ça ! La terre, il suffit de la mouiller, de la mélanger avec du foin neuf et hop ! on a un torchis neuf parfait, j'ai des stocks de terre dans la cave, c'est infini comme matériau, c'est addictif, on ne peut plus s'arrêter quand on a les mains dans la boue."

Inutile de décrire le désespoir de Simon quand il voit des rénovations du coin, où les propriétaires cachent la terre dégradée par du placo, cassent leur plancher pour y installer un sol moderne, et jettent leurs vieux plafonds en torchis. "Ces vieux plafonds qu'on détruit, c'est un trésor qu'on jette à la benne !", s'exclame-t-il, déçu de voir les gens rénover leur maison sans souci de son histoire.

 Une bibliothèque en peuplier
© Simon Hureau / Une bibliothèque en peuplier
lse poutres et la cheminée rénovés d'une ancienne maison du XVIe siècle en Touraine
© Simon Hureau / Les plafonds en torchis et les poutres restaurés

Un faux mur en colombage... remplacé par un vrai

Dans la chambre aussi, Simon a retiré le placo et restauré les torchis du plafond, les poutres et les entre-poutres d'origine en peuplier et en chêne. Il s'est aussi fabriqué des placards avec de vieilles portes chinées ainsi qu'une petite bibliothèque en peuplier dans la cheminée. Sur un autre mur, il a retrouvé et restauré un pan de bois datant du XVIe siècle, là aussi caché derrière du placo des années 80.

"Je me suis mis à la maçonnerie à la chaux, confie encore Simon, j'ai remonté des murs moi-même pierre par pierre ! On fait du sol au plafond quand on attaque une pièce, jusqu'à lasurer les poutres." Détail amusant, l'ancien propriétaire avait fabriqué un faux colombage sur un mur de pierre alors qu'il en avait caché un véritable ailleurs... "Il était beaucoup dans le factice, nous éclaire Simon. Au contraire, je cherche à retrouver l'authenticité de la maison telle qu'elle était il y a plusieurs siècles, donc on n'essaye de pas tomber dans des modes non plus."

© Simon Hureau / La chambre et ses placards en bois
© Simon Hureau / Un mur avec pan de bois à colombage dans la chambre

De la Touraine au Groenland

"Là où naissent les glaces" : la prochaine BD de Simon Hureau racontera l'histoire vraie d'un Français parti vivre au Groenland depuis des dizaines d'années. 180 pages écrites, dessinées et mises en couleur par l'auteur, à paraître au printemps 2022.

Cette quête éperdue de l'authenticité, c'est à la fois la joie et le drame de Simon, qui met tout son coeur à l'ouvrage, mais regrette de passer par là : "J'aurais adoré acheter une maison avec de vieilles boiseries, des peintures qui s'écaillent mais qui sont d'origine, là il fallait enlever l'inauthentique pour obtenir ce résultat, ça fait un mur neuf mais fabriqué à l'ancienne. J'aurais aimé être dans une maison qui n'a pas bougé."

C'est sur le tas que Simon a quasiment tout appris. D'après lui, pas besoin d'être forcément un pro : "Tout le monde peut casser des murs et des plafonds par exemple, en plus les artisans n'aiment pas ça et c'est cher !" Pareil pour le jardin, où l'auteur nous avait raconté comment il avait dû arracher tous les cotoneasters, briser la dalle pour dégager l'escalier menant au canal souterrain, réparer la jolie pompe à eau du vieux puits... Aujourd'hui, le jardin a lui aussi retrouvé son charme et son aura, prolongation dans la nature des matières brutes, bois et terre, qu'on trouve dans la maison."C'est un ensemble, conclut Simon, jardin et maison, on habite tout en même temps !"