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RÊVE D'ENFANT - On a beau avoir largement dépassé l'âge de raison, on aime toujours autant construire des cabanes. Et cela en dit beaucoup plus long sur nous que nous ne l'aurions imaginé.

Il n'y a plus de tissu. Papa tu peux nous aider ?”, s'exclame Pablo, 6 ans, alors qu'il cherche un moyen d'élaborer une toiture pour sa cabane. Pour remplacer les draps, le jeune garçon aidé par son père utilise alors des tapis de sol pour recréer un toit. Pendant ce temps-là, Léa, 7 ans, tente de fixer une poutre pour dessiner les contours de son futur abri. 

Nous ne sommes pas dans la forêt, ni même dans un jardin, mais à la Cité des Sciences et de l'Industrie à Paris, au coeur de l'exposition Cabanes, que l'on peut visiter jusqu'au 5 janvier 2020. Bien que l'exposition soit destinée aux enfants entre 2 et 10 ans, force est de constater que les parents prennent tout autant de plaisir à participer à l'atelier construction de cabanes. 

Quand on a choisi ce thème, on s'est rendu compte que tout le monde avait un rêve de cabane, adulte ou enfant. Ça marche avec tout le monde”, fait remarquer Alisson Boiffard, commissaire de l'exposition. 

Pourtant la cabane n'a rien à voir avec l'idéal de confort qu'incarne la maison moderne. Cabane en bois dans les arbres, draps tendus entre deux chaises ou cahute au fond du jardin, la cabane, c'est l'image de la construction rudimentaire. Mais alors pourquoi passionne-t-elle autant ? 

© Cité des Sciences

La cabane : arrière-chambre de notre imaginaire 

Cela a beau être un jeu d'enfant de construire une cabane, c'est un sujet plus sérieux qu'il n'y paraît au premier abord. À tel point que des universitaires se penchent dessus, comme Saskia Cousin, anthropologue et maîtresse de conférence à l'Université Paris Descartes. Pour elle, la cabane fascine de par l'imaginaire que l'on projette à travers elle. “La cabane c'est l'abri par excellence, l'imaginaire y est infini. Sur elle, on projette son enfance et celle de l'humanité”, souligne-t-elle. 

Terrain de jeu idéal, à l'intérieur de la cabane on s'invente des histoires, des aventures incroyables. On devient le maître ou la maîtresse de son propre espace. Patrice Huerre, pédopsychiatre et membre du comité scientifique de l'exposition, nous le confirme : “C'est un espace sur lequel on a prise et qui est extrêmement personnel. On peut construire et l'aménager à sa guise, on peut se retrouver seul ou avec d'autres.

© Cité des Sciences

Un habitat sommaire que l'on modèle à sa guise 

Même si une cabane n'a pas la prétention d'offrir le même confort qu'une vraie maison, elle plaît car elle y ressemble et que l'on peut la modeler comme bon nous semble. Une version minimaliste de nos logements en quelque sorte. 

Les cabanes sont l'une des formes premières de l'habitat humain. Elles accompagnent  les nomades. Une cabane n'est pas une maquette, c'est l'archétype de l'habitat. Toutes les sociétés produisent des cabanes”, rappelle Saskia Cousin. 

C'est justement cette dimension qui intéresse l'architecte Fiona Meadows, “obsédée par les cabanes” depuis plus de vingt ans. Pour elle, la cabane, sous sa forme primitive, est à l'origine de l'architecture rationaliste, qui voit le jour au 18ème siècle. La cabane devient un modèle idéal pour les architectes. Ils y voient une structure claire et lisible.

Ce qui me plaît c'est l'autoconstruction et le bricolage de la cabane”, précise-t-elle. À travers cette construction, l'enfant comme l'adulte, apprend à réfléchir à la structure, à ce qu'il souhaite privilégier dans cet espace qui est le sien. Et c'est justement en quoi consiste l'atelier de construction de cabanes de l'exposition de la Cité des Sciences. 

On a mis à disposition des éléments du quotidien, que l'on trouve à la maison. L'idée est d'utiliser ce que l'on a sous la main : des bouts de bois ou encore des frites de piscine”, précise Alison Boiffard. 

© Cité des Sciences

Un refuge écolo contre l'agitation du monde

Mais la cabane est aussi une cachette, dans laquelle on se protège du regard des autres et du monde extérieur. “La cabane traditionnelle est un refuge, une rupture avec les contraintes de la vie sociale”, affirme l'anthropologue Saskia Cousin.

Un avis que partage le pédopsychiatre Patrice Huerre : “La cabane est une frontière avec le reste du monde. C'est quelque chose de très précieux aujourd'hui, à une époque où l'on est envahi par le bruit, la foule et l'agitation. C'est un repli stratégique très apprécié.

Raison pour laquelle la cabane fait désormais office d'habitat alternatif aux côtés de la tiny house ou encore de la yourte. Les adultes en manque de nature sont de plus en plus friands de ces petits logements qui offrent, le temps d'un week-end, une pause avec le quotidien pollué et mouvementé de la ville. À l'image de cet entrepreneur belge qui a fait construire sur 7 hectares, 19 cabanes pour accueillir des citadins en recherche d'évasion, ou encore de cette mini maison perdue dans la campagne, parfaite pour se déconnecter. 

Selon Saskia Cousin, ce lien entre nature et cabane vient de l'assimilation de cette dernière avec l'abri-refuge : “C'est le symbole de la conquête des sommets, un ensauvagement pour le retour à la nature. Cet imaginaire nourri le succès des écolodges, des cabanes perchées. Une robinsonnade propre au tourisme alternatif mais distingué.

Et si la cabane était l'habitat de demain ? Un logement respectueux de l'environnement car simple en matériaux. C'est en tout cas une éventualité à laquelle adhère l'architecte Fiona Meadows : “La cabane entre dans une logique de décroissance. Elle pose la question d'un habitat durable. On va revenir à la cabane car elle n'est pas en béton, elle est en bois.

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