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PSYCHO - Dans son livre La charge mentale des enfants (Ed. Larousse), Aline Nativel Id Hammou explique comment aider les enfants à ne pas devenir des adultes trop tôt. Et à grandir sans stress.

Penser au rendez-vous chez le médecin, inscrire les enfants aux activités extrascolaires ou programmer une lessive pour le lendemain : la dessinatrice Emma a fait connaître en 2017 le désormais célèbre concept de charge mentale dont héritent majoritairement les femmes. Mais ce que vous ignorez sûrement, c'est qu'elle ne leur est pas réservée ! Les enfants aussi ont leur lot.

C'est en tout cas ce qu'affirme la psychologue clinicienne spécialisée dans le domaine de l'enfance et de l'adolescence, Aline Nativel Id Hammou, dans son ouvrage La charge mentale des enfants, quand nos exigences les épuisent (Ed. Larousse, 2020). Soumis à un stress quotidien, les enfants souffriraient d'un emploi du temps surchargé. 

Pour éviter qu'ils ne s'épuisent et les aider à se construire en toute sérénité, l'autrice livre des clés pour rendre aux plus jeunes une vie d'enfant et ne pas les projeter dans un monde qui n'est pas le leur. Entretien. 

18h39 : Pour les femmes, la charge mentale consiste à anticiper et tout devoir planifier en permanence. À quoi ressemble celle des enfants ? 

Aline Nativel Id Hammou : Ça ne va pas être prendre rendez-vous chez le pédiatre, faire les courses mais plutôt penser à être comme les adultes veulent que je sois. Et ça commence souvent dès le réveil : on parle du cours de musique du soir ou de ce qu'il va se passer le lendemain, alors que l'enfant est encore en pyjama et vient d'ouvrir les yeux. 

C'est pour ça qu'on met en avant la notion de charge mentale, car ce sont des pensées qui vont devenir automatiques à cause des exigences imposées par des adultes. Il va y avoir une saturation cognitive et émotionnelle, avec une difficulté à y mettre du sens. Comme l'adulte, il y a un côté obligatoire, c'est pour ça que j'ai osé mettre en avant la charge mentale.

Au quotidien, ça se traduit comment à la maison ? 

L'enfant va essayer de répondre à toutes les exigences que l'on attend de lui, il va se surpasser et beaucoup se fatiguer. Ce sont des choses qu'il ne comprend pas vraiment, mais il voit que ça fait plaisir aux adultes. Car son but dans la vie, c'est de se sentir aimé et surtout ne jamais perdre l'amour de ces figures d'attachement. 

La journée typique d'un enfant en charge mentale va être de constamment anticiper tous ses actes. S'il est en cours de français, il va penser à son cours de maths car la dernière fois il n'a eu que 14 et là il doit avoir 15. Sur l'heure du déjeuner, il va penser au soir, à ne pas oublier de prendre son sac car il a sport à 18h.

Mais anticiper, se projeter dans le temps et l'espace, c'est une activité normale du cerveau. À partir de quand cette capacité devient néfaste pour l'enfant ? 

C'est quand vous devenez un robot. Certains enfants perdent le plaisir de faire ou de jouer, ils semblent éteints. Anticiper, prévoir, on le fait tous. Sauf que là il faut se mettre à la place de l'enfant, sa notion de temporalité est très différente d'un adulte. 

Dans le livre vous expliquez qu'être un enfant est devenu un métier. Que voulez-vous dire ? 

C'est devenu un vrai métier de grand. J'ai certains parents qui viennent me voir et me disent que leur enfant doit être comme ça, remplir tel objectif. C'est comme si dans sa vie d'enfant il avait des choses à mettre en avant, des compétences et des objectifs à atteindre. On trouve une notion d'évaluation qu'il y avait beaucoup moins avant, c'est dans l'air du temps. Comme si l'enfant avait une fiche métier à remplir et s'il ne la remplit pas, comme un salarié, il est sanctionné. 

Est-ce que c'était différent avant ? 

Il y a 50 ou 60 ans, on n'avait pas autant de connaissances sur l'enfant. La nouvelle parentalité, par exemple, peut apporter cette pression. Les parents sont perdus car il y a beaucoup d'informations : qu'est-ce que c'est d'être un bon parent ? 

C'est pourquoi vous interrogez le rôle positif de l'éducation bienveillante, car elle est une source de stress ?

J'ai de plus en plus de consultations où les parents me demandent des outils, des astuces à appliquer. Ils n'en veulent pas deux, ils veulent une liste pour les essayer avec leur enfant. Ce qui apporte du stress, c'est qu'ils multiplient les outils qui parfois ne sont pas du tout adaptés à leur enfant. C'est comme les troubles du sommeil : certains enfants ont des chambres avec trois veilleuses et une alarme, c'est trop ! 

Les journées sont tellement chargées que vous utilisez l'expression “maltraitance temporelle”. C'est un terme fort.

La maltraitance temporelle est une expression de Catherine Dolto. Quand un enfant est face à un adulte qui commence à transpirer, qui dit “dépêche-toi”, démarre la voiture en trombe, l'enfant ne comprend pas. Plusieurs études montrent qu'un enfant acquiert totalement la compétence de la gestion de la temporalité vers 11-12 ans. Dire à un enfant “il est 8h”, ça ne veut rien dire. Il voit juste la réaction que ça provoque chez l'adulte, et l'ambiance que ça va créer. 

La maltraitance temporelle, c'est aussi du temps qualitatif que l'on ne passe pas avec l'enfant. Il y a beaucoup de parents qui me disent qu'ils passent du temps avec lui, qu'ils prennent le bain, font les devoirs, mangent avec lui. Mais ça, c'est du temps dans l'action, vous ne prenez pas le temps de vous poser, de rigoler, de danser, de vous ennuyer tous les deux. 

Vous recommandez une pause obligatoire. Comment la mettre en place ? 

Ce que je préconise c'est de trouver un symbole, ça peut être un petit talisman que l'on choisit en famille. Et quand il y a un moment de saturation, on va chercher ce symbole et on dit “écoute je suis en pause”. Je suis le moins possible dans l'activité, je m'allonge sur le tapis, je fais un câlin avec mon chien. Quelque chose qui n'est pas forcément stimulant au niveau cérébral mais dans la détente corporelle. Et les parents ont le droit de l'utiliser aussi !