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DÉBAT D'IDÉES - Ces dernières années, la permaculture a le vent en poupe chez les écologistes et les fans d'autonomie. Un maraîcher remet en cause certains aspects de la doctrine.

"Je sais que je vais me prendre plein de pouces rouges et de commentaires négatifs !" prévient d'entrée Antoine, alias le Potagiste sur YouTube. Installé dans la région du Bordelais, ce fan de maraîchage naturel et du Japon (le pays où naquit la permaculture, théorisée par Masanobu Fukuoka) sait qu'il aborde un sujet polémique et passionnel.

Habituellement, sa chaîne YouTube est plus terre à terre, on y cause récolte de patates sur gazon, bataille contre le mildiou, utilisation des feuilles mortes au jardin et repiquage des poireaux, mais aussi des sujets plus techniques comme le phosphore ou l'azote.

Seulement voilà, Antoine a récemment décidé de s'attaquer à l'un des grands concepts actuels qui irrigue les courants écolos et collapsologues. Dans deux vidéos intitulées Marre de la permaculture et Critique de la permaculture, il pointe du doigt les dérives dogmatique et ésotérique de cette doctrine, estimant qu'elle prend parfois des airs de grand inquisiteur.

Voici quelques pistes de réflexion lancées par Antoine Le Potagiste que nous avons retenues. Précisons que les vidéos font une heure et demi en tout et qu'elles développent leurs arguments à l'aide d'exemples bien plus précis ce que nous résumons ici succinctement.

La nature vue comme moralement bonne

Gare à celui qui plante quelques tomates sur plusieurs mètres carré, il fait de la monoculture ! Gare à celui qui tue les limaces ou qui taille ses plants, il perturbe les plans divins de Mère Nature ! Voilà en substance ce que certains défenseurs de la permaculture tiennent comme discours. "La nature, c'est pas quelque chose de foncièrement joli et mignon, objecte pourtant Antoine dans sa vidéo, c'est pas le pays des bisounours".

Parmi les critiques principales que le youtubeur adresse à la permaculture, on trouve donc cette idée selon laquelle la nature serait toujours bonne et qu'il faudrait la laisser faire. Qu'il ne faut pas tuer les animaux du jardin, ne pas retirer les mauvaises herbes, car ils sont tous utiles. Le Potagiste, lui, ne s'empêche pas d'intervenir, il est pragmatique : "Un chiendent quand il pousse dans mon jardin, il ne me dérange pas, mais s'il vient pousser dans mes plates-bandes, là ça devient une mauvaise herbe".

Au final, parler de "pure nature" n'a pas vraiment de sens quand on parle d'agriculture ou de maraîchage pour Antoine. "Il y a méprise sur ce qu'est un potager, rappelle-t-il, c'est rempli de plantes artificielles, qui n'auraient aucune chance de survivre dans la nature et qui ont été sélectionnées par les hommes sur des générations."

Capture d'écran de la vidéo où le Potagiste explique pourquoi il utilise de l'anti-limaces

Une dérive ésotérique qui veut englober la totalité du monde

Autre sujet de dispute, la permaculture se pense comme un écosystème qui pourrait englober aussi bien notre rapport à la nature que notre rapport au bonheur. "C'est la porte ouverte à toutes les dérives new age, s'inquiète le youtubeur, le second pilier de la permaculture veut qu'on prenne soin des hommes, c'est là qu'on peut commencer à tourner le dos à la méthode scientifique." Pour Antoine, le but d'un jardinier ou d'un cultivateur, c'est d'abord de faire pousser des légumes, des céréales, des fruits, des plantes.

Surtout, les principes de la permaculture paraissent finalement assez simples et communs à notre jardinier sceptique. "Il y a quelque chose de prétentieux à dire qu'on va tout révolutionner et qu'on va vous apprendre comment faire de l'agronomie. Grosso modo, j'ai l'impression que la permaculture est en train de réinventer la roue." Pour le Potagiste, les siècles d'agriculture et de travail de la terre qui nous précèdent ont déjà permis de découvrir la plupart de ces principes essentiels que la permaculture prétend inventer.

Retrouver les traditions maraîchères des anciens

Des maraîchers traditionnels à Bobigny à la fin du XIXe siècle © Cercle d'études et de recherches historiques de Bobigny Balbiniacum (CERHBB)

Pour lui, tout n'est pas à jeter dans la permaculture, surtout si elle s'inspire des traditions, mais il remarque que de nombreux permaculteurs ont lancé des idées radicales qui se sont révélées inefficaces. Exemple ? Le jardin-forêt ou les buttes (cf. notre petit lexique pour en savoir plus). "Aujourd'hui, tout le monde abandonne les buttes, précise-t-il, on se tourne de nouveau vers du maraîchage taillé au cordeau, vers les techniques de nos anciens, comme les maraîchers parisiens du XIXe siècle, c'est ça le nouveau modèle."

Pire, la permaculture ne nourrirait pas son homme. Dans les vidéos, il remet en cause la viabilité de son modèle économique et sa rentabilité. "Les gens qui font ça vivent à côté d'éco-tourisme, de formations, de teepee [site de dons en ligne, ndlr], etc. La fameuse ferme du Bec-Hellouin, ils font du maraîchage intensif, plus trop de la permaculture. Et j'ai entendu dire qu'ils vendent chers leur légumes à des restos de luxe, ce n'est pas un modèle qu'on peut généraliser."

Le moins qu'on puisse dire, c'est que le Potagiste a touché une corde sensible dans le petit monde du maraîchage. Alors que ses vidéos font généralement quelques centaines ou milliers de vues, sa première critique de la permaculture a été visionnée 144 000 fois ! Au-delà de la polémique, le discours d'Antoine a eu le mérite de provoquer un débat souvent passionnant dans les commentaires, parfois même par vidéos interposées.

Certains le soutiennent, d'autres lui reprochent de caricaturer le propos de la permaculture en discours baba cool d'extrême gauche, de s'attaquer à un concept encore largement minoritaire par rapport à l'agriculture conventionnelle, ou de s'accrocher au vieux monde scientiste. Bref, de quoi nourrir les échanges lors du premier salon sur la permaculture, Permae, fin janvier à Paris !