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AUTONOMIE - Jacob Karhu a rénové une cabane à 1700 mètres d'altitude pour y vivre seul d'avril à octobre. Il revient sur son expérience dans un livre.

Aujourd'hui, je pars. C'est un 4 avril. Un mercredi. Je prends le bus, comme si je m'en allais simplement faire une course. Sauf que je sais parfaitement que je ne rentrerai pas. Je ne reviendrai pas ici avant des mois.

Ces mots sont ceux de Jacob Karhu, 24 ans à l'époque et étudiant à l'Ecole Normale Supérieure de Lyon. Alors que la plupart de ses camarades choisissent la voie de l'enseignement, lui, profite de sa césure pour partir vivre seul dans une cabane abandonnée dans les Pyrénées. C'est à 1700 mètres d'altitude que le jeune étudiant breton expérimente pendant 7 mois, d'avril à octobre 2018, un mode de vie simple, pour mettre en pratique son savoir survivaliste. 

À la sortie de son ermitage, nous avions relayé son témoignage en vidéo, mais le désormais doctorant en climatologie vient de publier un livre, Vie sauve, mode d'emploi - l'ermite des Pyrénées (Flammarion, 2021), ouvrage dans lequel il revient en détail sur cette expérience hors du monde. Entre solitude, rénovation de la cabane, apprentissage de la vie en pleine nature, le programme a été chargé. Entretien. 

18h39 : Alors que certains profitent de leur année de césure pour partir à l'étranger ou faire un stage, vous avez décidé de vivre dans une cabane dans les Pyrénées. Pourquoi ce choix ?  

Jacob Karhu : J'ai préféré organiser une sorte de projet en partie scientifique car je travaillais avec le CNRS (Centre National de la Recherche Scientifique, ndlr) sur les zones montagneuses. Mais je voulais aussi prendre du temps pour moi, car c'est l'objet d'une césure : savoir ce que l'on veut faire plus tard. Et moi justement, je savais que je voulais partir quelque temps pour voir si la vie en montagne pouvait me convenir sur le long terme. C'était aussi du dépassement de soi, je voulais voir si j'étais aussi solitaire que je le pensais.

Au lycée on vous appelait “le mec aux cabanes”, c'est un rêve que vous traînez depuis longtemps. Qu'est-ce qui vous plaît tant dans les cabanes ? 

Je trouve que c'est un petit cocon, un petit refuge. On construit quelque chose de nos propres mains, il y a la fierté d'avoir fait quelque chose nous-même avec des matériaux naturels, du bois, de la terre, de la paille. 

La cabane dans laquelle vous avez vécu sept mois, vous l'aviez repérée l'été d'avant. Quand vous arrivez sur place en avril 2018, à quoi ressemble-t-elle ?

Elle était encore enneigée, je ne m'attendais pas à ce qu'elle soit encore sous la neige. Il y a avait plein de détritus dans la cabane. La première fois que je l'ai vue l'été précédent, elle était dans un état assez convenable comme une cabane classique. Mais quand je suis revenu à la fin de l'hiver, elle était très sale. 

Quand vous avez quitté la civilisation, vous n'avez pris que deux sacs. Qu'est-ce que l'on choisit de prendre quand on part vivre en pleine nature ? 

J'avais vraiment le minimum quand je suis venu car je n'avais pas la possibilité d'amener du matériel. J'avais une tête de hache, et j'ai fabriqué le manche sur place. J'avais aussi une lame de scie et j'ai fait un cadre sur place. J'avais quelques affaires, un peu comme si je partais en randonnée pour pouvoir vivre sur un camp : une casserole, mon sac de couchage. Mes parents sont venus un mois après pour m'apporter le reste du matériel. Du matériel pour travailler le bois, travailler la pierre, travailler la terre et creuser pour faire un peu de maçonnerie. Et aussi, des panneaux solaires et de l'éclairage pour le côté confort. 

Votre objectif était de rénover la cabane. Qu'avez-vous entrepris ? 

J'ai commencé par tout enlever à l'intérieur. Et ensuite j'ai refait les enduits sur les murs, le ciment commençait à se décoller et ce n'était pas très propre. J'ai préféré tout enlever. J'ai utilisé des enduits naturels, de la chaux et de la terre argileuse trouvée sur place. J'ai fait un gros travail de rénovation à l'intérieur qui m'a pris beaucoup de temps. J'ai construit du mobilier à l'intérieur avec du bois de la forêt : des tables, des étagères, des lits doubles pour accueillir des randonneurs. J'ai également installé un toit végétal pour l'isolation et pour que ça soit un peu plus joli. 

À quoi ressemblait une journée type quand vous viviez là-haut ?

Je faisais pas mal de rénovation. Mais j'ai fait de la randonnée, car je ne suis pas du coin. J'ai fait de la cueillette, je cherchais de la nourriture, je m'occupais de mes poules. Il y a toutes les tâches quotidiennes comme faire sa lessive, puiser de l'eau pour aller boire, couper du bois, faire à manger. Ce sont plein de tâches que l'on fait en un claquement de doigt normalement mais ici elles prennent beaucoup de temps. Cela prend une matinée pour laver quelques vêtements.

Comment fait-on pour faire ses courses et se faire à manger à 1700 mètres d'altitude ?

J'avais apporté pas mal de nourriture au début, car je ne pouvais pas produire ou trouver sur place ce que j'allais manger. Après j'ai commencé à faire pousser un potager, j'avais apporté des graines. Je n'avais pas d'expérience, j'ai appris à faire et j'ai eu de la chance, tout a marché ! J'avais aussi des poules pour récupérer des œufs. J'ai fait un peu de cueillette sauvage, j'ai récolté pas mal de champignons, des baies et des plantes. Mais j'achetais quand même du riz, des lentilles, du sucre pour avoir une base 

Comment avez- vous géré la solitude ? 

Au début, il y avait très peu de gens. Je n'ai parlé quasiment à personne pendant un mois. Je n'avais jamais vécu ça et je me suis senti un petit peu seul à ce moment-là. C'était le but recherché. En juin, juillet, quand il a commencé à faire beau, il y a eu un peu plus de randonneurs. J'ai souvent croisé des gens. Mais j'ai bien aimé l'arrivée de l'automne quand les randonneurs ont quitté les montagnes. J'ai eu du temps pour mes activités personnelles : faire du dessin, lire, faire de la photo, écrire. 

Comment avez-vous vécu le retour à la vie normale ? Qu'est-ce qui vous a frappé ?

Ce qui m'a le plus marqué, c'est la rapidité des choses, tout va très vite. Tout le monde est pressé, là-bas je n'avais pas de délai. Il y avait une dynamique rapide que j'ai eu du mal à retrouver au début. Ce qui m'avait manqué, c'était de pouvoir manger de bons fruits frais comme des pastèques, des raisins, du melon, que je n'avais pas là-bas. 

Comment est-ce que cette vie d'ermite a impacté votre vie aujourd'hui ? Qu'est-ce qui reste de cette expérience dans votre quotidien ? 

Je croyais que j'étais quelqu'un d'asocial ou misanthrope, je voulais vivre de cette façon-là pour voir si cela me correspondait vraiment. J'ai vu que ça ne me correspondait pas et aujourd'hui je vis avec d'autres personnes, on est regroupé à 6/7 personnes dans un lieu où j'ai commencé ma thèse. Et ce que j'ai compris, c'est qu'il faut trouver les bonnes personnes. 

Des conseils pour celles et ceux qui voudraient partir vivre en immersion dans la montagne ?

Ne pas partir sans connaissance, se renseigner sur Internet. Il y a tellement de choses à apprendre. C'est comme ça que j'ai commencé mais il faut aussi de la pratique, donc y aller petit à petit, par étape. Ne pas partir pendant sept mois dans les montagnes mais commencer par une randonnée d'une journée. Puis partir en tente, aller bivouaquer, partir avec un peu moins de choses, une semaine. Pour arriver à partir plusieurs mois tout seul, avec les connaissances apprises sur le terrain. 

Depuis, Jacob vit dans un dôme géodésique qu'il a construit lui-même. Pour découvrir à quoi ressemble sa vie aujourd'hui, jetez un œil à cette vidéo :