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PÉRIPLE ÉCOLO - Fred et Eddie ont décidé de faire Marseille-Paris à pieds pour ramasser les déchets jetés par terre... mais aussi pour répandre leur bonne parole et leur bonne humeur.

C'est l'histoire d'un "escargot anglais" et d'un "sanglier marseillais" qui partent en guerre contre la pollution. Eddie, doux-dingue originaire de Leeds mais phocéen d'adoption, et Fred, reporter photographe marseillais, se sont rencontrés il y a quelques années à une terrasse de café, grâce à des amies arméniennes. Le courant est passé tout de suite entre eux et ils ne se sont pas quittés depuis. "On se supporte", nous confie Eddie, pudique euphémisme qui cache mal une complicité rigolarde de tous les instants.

"Je le vois plus que ma nana ! rétorque Fred. On dort ensemble, on mange ensemble, on fait tout ensemble ! On a fait des délires ensemble, on est une bonne équipe." Au téléphone, on perçoit vite la bonne humeur de ces deux copains en vadrouille, posés le temps d'un café chez Monique, habitante d'un petit village de Saône-et-Loire qui les héberge au milieu des noix qu'elle a ramassées. "Combien de kilos de noix, Monique ? crie Eddie à travers le téléphone. Une vingtaine de kilos, Emmanuel, m'informe-t-il, pour faire de l'huile de noix ! On t'en rapportera."

On l'aura compris, le périple du sanglier et de l'escargot (Eddie a hérité de ce surnom après avoir fait 8000 km en auto-stop à travers la France, en suivant une trajectoire en forme de spirale), c'est un mélange de défi environnemental et d'aventure humaine, ce qu'on appelle parfois le tourisme slow. Même si le confinement est passé par là, ils continuent la marche pour alerter l'opinion sur ces masques qui mettent environ 450 ans à se dégrader et qui polluent la terre et les océans.

© Frédéric Munsch
© Frédéric Munsch

"On fait des travaux d'intérêt général, alors qu'on a été condamnés à rien"

18h39 : Vous avez commencé votre périple le 1er octobre, mais depuis quelques jours le second confinement a commencé. Est-ce que la marche continue malgré tout ?
Fred : Oui ! Notre attestation, c'est un bâton avec des masques accrochés dessus... On a les preuves de la marche, on garde tous les journaux avec des articles sur nous. Depuis le confinement, on a quand même enlevé les vestes orange, et on longe les petits chemins. On se fait discrets, sur notre route, il n'y a personne, à peine des paysans.

Depuis notre départ, certains flics nous disent "je vous ai vus à la télé", ils sont tranquilles avec nous. Il faut dire qu'on fait un peu des travaux d'intérêt général en ce moment, à ramasser tous ces déchets, alors qu'on a été condamnés à rien ! Si on se prend un PV, ce serait un comble. Mais on s'éclate, on marche 20 km par jour ! 

Eddie : On porte notre maison sur le dos en forme de tente deux secondes, on est chez nous partout. Alors oui, l'ambiance a changé, on ne sait pas comment seront les prochaines semaines. On avait arrêté la date du 19 novembre pour l'arrivée à Paris, mais ça risque de changer. Pour l'instant, on a récolté 2700 masques, on est à mi-chemin du voyage.

18h39 : Comment est venue l'idée de cette marche entre Marseille et Paris ?
Eddie : L'idée de longer la ligne TGV vient de 2011, la première fois que j'ai fait Marseille-Paris en train, je me suis dit “un jour je vais le faire à pieds, parce que 300 km/h, ça va trop vite, je veux le faire à 3 km/h, profiter du paysage, rencontrer les gens, l'agriculteur, le proprio du château, faire le con avec les vaches." Le militant écologiste américain Rob Greenfield, qui se lance tout le temps des défis écolo, nous a aussi beaucoup inspiré !

Je milite depuis 2015, j'ai créé l'asso 1 déchet par jour qui cartonne sur les réseaux sociaux, nous avons 24 000 fans sur Facebook, 15 000 sur Insta, on porte un message positif à travers le hashtag #1DechetParJour. Chaque citoyen peut ramasser un motherfucking déchet par jour, c'est comme se brosser les dents ! Dans cette optique, pourquoi pas faire Marseille-Paris et ramasser tous les masques jetables !

"100 millions de masques arrivent chaque semaine en France et 75% finissent dans la nature"

18h39 : Votre marche est aussi une aventure humaine, est-ce que c'est plus compliqué avec le contexte épidémique ?
Eddie : Ecoute, tout à l'heure on se promenait dans le village, on s'est posés sur un banc et Monique est venue nous proposer de l'eau. On est chez elle, on a été super bien accueillis, on prend le café, on charge les téléphones... Beaucoup de gens ne craignent pas le virus, c'est ce qu'on a constaté depuis qu'on marche.

Fred : Les gens sont sympas, on nous reconnaît, on nous klaxonne ! Ceux qui ont peur, on les croise pas. Beaucoup de gens nous remarquent avec notre attirail, ils nous invitent à boire un coup. Heureusement que les PMU sont fermés, parce qu'on nous nourrissait beaucoup en liquide ! On a traversé la Provence, la Drôme, l'Ardèche, le Beaujolais, ici les gens n'ont pas oublié de vivre, c'est dans les villes que c'est le plus difficile.

Eddie : Dans ces campagnes, l'argent n'est pas une priorité, c'est le bonheur, le partage. On croise aussi beaucoup de gens en transition écologique. C'est beau de voir ce mouvement de ralentissement de la consommation. Même si c'est juste un peu ! On est beaucoup dans la philosophie "juste un peu", on aimerait que les gens jettent juste un peu moins les masques, ça ferait une grosse différence au final.

18h39 : Le masque jetable est-il le symbole d'une période où l'urgence sanitaire prend le pas sur l'urgence écologique ?
Fred : En même temps, le confinement a fait revenir la nature par endroits, les gens se sont aussi aperçus que la consommation n'était pas si importante, qu'on pouvait se passer de beaucoup de choses non essentielles, il y a eu un petit ralentissement. Et puis au déconfinement, les gens se sont rués au Mcdo… Le problème, c'est qu'on oppose le virus à l'environnement, alors que tout est lié, si c'est la merde aujourd'hui, c'est aussi parce que c'est la crise écologique.

Eddie : Ceux qui nous gouvernent auraient dû communiquer sur ce sujet des masques jetables et bien rappeler que ça pollue aussi. Prenez soin de vous ET de la planète. Notre communication, c'est "arrêtez avec le jetable, c'est toxique !" On attrape les masques avec des pinces, parce que ça se désagrège et ça se répand en milliers de microfibres qui sont des nano-déchets ! Il faut savoir que 100 millions de masques arrivent chaque semaine en France et 75% finissent dans la nature. Je m'inquiète pour la santé des gens forcés de changer de masque toutes les quatre heures et de respirer cette cochonnerie.

18h39 : Vous intervenez aussi dans les écoles, comment les enfants réagissent ?
Eddie : On est allé voir des gamins à Avignon, deux classes de 45 enfants en CE2, et on leur a demandé “qui a déjà vu quelqu'un jeter un masque par terre?” Eh bien, ils lèvent tous la main. - C'était qui ? - Maman, ma cousine, le monsieur du bus, des inconnus qui jettent depuis leur voiture... On a le témoignage des enfants, eux disent la vérité ! On aimerait aller plus souvent dans les écoles, les gamins adorent, on fait du théâtre de rue, mais on ne fait pas la démarche, il faut que ce soit les professeurs qui nous contactent et qu'ils ne soient pas trop loin sur notre chemin.

Retrouvez l'escargot anglais et le sanglier marseillais sur Instagram, où ils chroniquent leur marche. Pour aider l'association 1 déchet par jour, qui a déjà ramassé 401 478 kilos de déchets, vous pouvez vous rendre sur leur site et répandre les hashtags #1DechetParJour et #1PieceOfRubbish.