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ARCHI - Composée de 21 triangles, la maison d'Elizabeth détonne dans le petit village de Lusignac où elle s'est installée.

Alors qu'à 65 ans le commun des mortels a enfin terminé de payer son prêt immobilier et espère passer une retraite sans encombre, Elizabeth Faure, elle, s'est lancée seule dans la construction de sa maison.

Et pas n'importe quelle maison, une maison en A. Cette maison composée de plusieurs triangles équilatéraux (ceux dont les trois côtés ont la même longueur, vous vous souvenez ?) est recouverte de panneaux d'OSB. Facile à construire, cette structure triangulaire est par conséquent peu coûteuse et c'est une des raisons pour laquelle Elizabeth l'a choisie. Cette maison de 180 m2 lui a coûté 35 000 euros. Un exploit technique rendu possible par la détermination et la passion de cette architecte pas comme les autres. 

Si vous souhaitez visiter la maison en A d'Elizabeth, n'hésitez pas à regarder notre reportage vidéo ci-dessous : 

C'est en Dordogne, non loin de Lusignac, qu'Elizabeth, aujourd'hui 71 ans, a décidé de construire ce logement atypique et abordable. “J'avais envie de faire cette maison pour les gens qui n'ont pas de blé”, a lancé l'architecte quand elle nous a reçus dans son legging et sa chemise rose. Il est vrai que son look détonne au milieu de ce coin rural. Les gens du village la surnomment d'ailleurs “l'Anglaise”. 

“On peut être pauvre mais on est pas obligé de vivre dans la misère”

Contrairement aux Anglais qui ont acheté de belles maisons un peu partout dans la région, du “blé”, elle n'en a pas, ou du moins pas beaucoup. Ce fut la ligne directrice lors de la conception de son projet : faire simple et pas cher. “Pour moi l'architecture c'est de montrer aux gens qu'on peut être pauvre mais qu'on est pas obligé de vivre dans la misère”, rappelle-t-elle dans le documentaire qui raconte la construction du bâtiment

Il y a une dizaine d'années, Elizabeth est devant sa télévision et voit au journal télévisé que Emmaüs a élaboré une maisonnette pour personnes sans-abri pour 10 000 euros. “Je me suis dit que je pouvais faire plus grand, plus beau, plus agréable et surtout plus pérenne", s'exclame-t-elle. L'architecte envoie son prototype à l'association qui décline sa proposition. “C'est là que je me suis dit que j'allais la faire moi-même”, indique Elizabeth.

Après avoir fait l'acquisition du terrain de 1000 m2 pour 8000 euros environ, elle parvient à convaincre le maire du village de lui accorder le permis de construire. Comme le Plan Local d'Urbanisme (PLU) de Lusignac était assez souple, elle y parvient sans trop d'encombre. Entre 2014 et 2016, “la vieille hippie”, comme elle se surnomme, travaille sans relâche pour venir à bout de son rêve. Quelques amis viennent lui prêter main forte de temps en temps, mais c'est seule qu'elle mène ce projet à bien. 

Et si vous demandez si elle a eu peur de se lancer dans la construction d'une maison, à l'âge de la retraite, voici sa réponse : “Il faut prendre des risques dans la vie ! Ça ne m'intéresse pas de roupiller dans un canapé. La peur c'est paralysant, ça n'avance à rien.” 

“Mes parents ne voulaient pas me payer des études. Les études pour les filles, c'était du gâchis”

Il suffit de l'entendre raconter sa vie pour en avoir le cœur net. C'est à la suite d'un voyage au Canada, après avoir été émerveillé par le dôme de Buckminster Fuller à l'exposition universelle de Montréal en 1967, que la jeune Elizabeth décide de devenir architecte malgré la réticence de ses parents. “Mes parents ne voulaient pas me payer des études d'architecture. Les études pour les filles, c'était du gâchis, il fallait qu'elles se marient”, se souvient-elle. 

Qu'à cela ne tienne, Elizabeth passe son baccalauréat et quitte la France pour s'inscrire dans une école d'architecture de Londres. Elle ne parle pas un mot d'anglais, n'a pas d'argent, mais qu'importe, elle est déterminée. “J'ai trouvé une petite chambre à 15 balles la semaine et un petit boulot. Je ne sortais pas car je n'avais pas un rond, je ne bouffais pas non plus mais je m'éclatais parce que j'étais libre”, raconte-t-elle. 

Pendant ses études, Elizabeth découvre une autre manière d'enseigner l'architecture, moins machiste, moins prétentieuse, où les élèves tutoient les professeurs. Mai 68 et la révolution sexuelle sont passés par là. “Je me suis éclatée. Je partais dans le métro et je demandais dans quel type de maisons les gens voulaient vivre. Ce sont les pauvres qui m'intéressaient”, précise-t-elle. Motivée par cette volonté de faire une architecture au service des plus démunis, elle intègre une association à la fin de ses études qui réhabilite d'anciens quartiers détruits pendant la Seconde Guerre mondiale, et squatte des maisons que le gouvernement anglais souhaite détruire au profit d'un axe routier. “Ma fille est née dans un squat”, ajoute-t-elle en riant. 

Sa soif de vie et de rencontre la mènera à New-York et à Paris. Mais c'est finalement dans la campagne dordognaise qu'elle pose ses valises dans les années 90. “Les grandes villes pour être confortable, avoir un petit jardin, il faut beaucoup d'argent. Quand tu n'en as pas et que tu vis avec le minimum vieillesse, il vaut mieux être à la campagne”, conseille-t-elle. Car son franc-parler et ses convictions ont un prix : jamais Elizabeth n'a intégré une agence qui aurait pu lui assurer des revenus réguliers. “Je préfère faire des petits plans pour des pauvres gars qui ont besoin d'une fenêtre ou d'un permis de construire. En général, c'était gratuit”, nous dit-elle. 

C'est grâce à la vente de la maison de l'un de ses ex-copains, qu'elle a pu réunir un peu d'argent pour élaborer son projet de maison en A. 4 ans après la fin des travaux, cette architecte n'a pas laissé de côté son architecture militante puisqu'elle accompagne désormais celles et ceux qui souhaitent se lancer dans la même aventure qu'elle.