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ÉGALITÉ - Dans les faits, les espaces publics ne sont pas pensés pour les femmes. Cependant, nombre de solutions existent pour rendre la ville plus égalitaire.

Quel est le nom de votre rue ? Celui d'une personnalité célèbre ? Si oui, on parie que c'est un homme. On a peu de chance de se tromper, car, en France, seulement 2% des noms de rue portent celui d'une femme, selon une étude de l'ONG Soroptimist.

Loin d'être anecdotique, ce constat est symptomatique du fait que la ville est un territoire masculin. Fait par et pour les hommes, va jusqu'à dire le géographe Yves Raibaud, auteur de nombreuses recherches sur les inégalités femmes-hommes à l'échelle de la ville.

75% du budget loisir alloué aux garçons

Ce n'est pas une opinion mais une recherche”, tient à préciser le chercheur du CNRS. Les différentes études menées depuis 2010 dans l'agglomération de Bordeaux, montrent par exemple que le budget alloué aux loisirs des jeunes profitent davantage aux garçons.

Il y a les stades, les skateparks, les scènes hip hop... au total, 75% du budget revient aux garçons et donc 25% aux filles. Conséquence : “à partir de la classe de 6e, les filles disparaissent de l'espace public”, détaille-t-il. Il y a toujours aussi les terrains de boules. Comme quoi, ce n'est pas nouveau. Mais prendre conscience du problème est un grand pas pour lui apporter une solution.

Passer du constat à l'action

Pour cela, les statistiques sont un bon moyen, encore faut-il en avoir. "Sans observatoire, ces chiffres n'existent pas", explique Yves Raibaud.

  • Première solution : mettre en place des observatoires pour repasser les budgets des administrations locales et territoriales au prisme du genre. "Cela implique une analyse de toutes les formes de dépenses et de recettes publiques ainsi que l'inventaire de leurs conséquences sur la situation respective des femmes et des hommes". Et de revoir les décisions en conséquence. Cela s'appelle le gender budgeting.

Chris Blache, co-fondatrice de la plateforme de recherche et d'action Genre et ville, estime que ce type de politique aurait d'autant plus de chances de se mettre en place si les élus étaient à parité. Pour rappel, seulement 16% des maires sont des femmes.

Un bureau des temps en faveur de l'égalité à Rennes

Illustration à Rennes : une ville qui fait figure d'exemple à suivre en matière d'égalité. Elle s'est vue décerner en 2015 le titre de ville la plus égalitaire de France, par le site Les Nouvelles News, qui a sollicité les 50 plus grandes villes de France pour répondre à un questionnaire inspiré de la charte européenne.

La municipalité bretonne mène depuis plus de quinze ans une politique intégrant l'égalité femme-homme. Et ce, par le biais d'une approche particulière : le temps. Un bureau des temps, créé en 2002, travaille sur l'articulation des temps personnel, familial et professionnel.

Sa première application concrète a été la modification du temps de travail des agents d'entretien de l'hôtel de ville. Métier essentiellement exercé par des femmes, notamment seules avec enfant. Au lieu de se faire le matin très tôt ou le soir très tard, le ménage est fait en journée. Avec ces meilleures conditions d'emploi, le travail s'est ouvert aux hommes et déféminisé.

Les femmes n'occupent pas l'espace public

Qui dit femme dans la ville, dit insécurité et harcèlement. On a tous vécu ou entendu une anecdote à ce sujet (plus ou moins anecdotique). Dans les transports, 100% des femmes sont victimes de harcèlement, selon le Haut conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes.

Les femmes s'arrêtent très peu pour occuper l'espace, elles vont d'un point A à B, explique Charline Ouarraki de l'association womenability qui organise des marches exploratoires pour diagnostiquer ce qui, dans l'espace urbain, ne convient pas aux femmes et pourraient être amélioré.

  • organiser des marches exploratoires 

Elles font les courses, vont voir des amis, amènent leurs enfants à l'école, vont au travail, mais "ne doivent jamais stationner", renchérit Yves Raibaud, car l'idée reçue est qu'une femme qui reste sur un trottoir propose forcément des services sexuels. "Rien n'est donc fait pour qu'elles restent dans la rue", continue le géographe.

Ne plus être une victime dans la ville

Et le harceleur "sanctionne" celles qui n'auront pas respecté la règle tacite. "Le spectre du viol est utilisé pour que les femmes n'aillent pas n'importe où, avec n'importe quel vêtement, avec n'importe qui. C'est un contrôle social, mais la ville n'est pas plus dangereuse pour les femmes que pour les hommes", assène Chris Blache. Même si ce n'est pas le danger du viol qui pèse sur les hommes.

Pour lutter contre le sentiment d'insécurité, certaines villes ont mis en place des outils spécifique :

  • À Montréal (Canada), les bus de nuit font des arrêts supplémentaires entre les stations pour déposer les femmes près de leur point d'arrivée.
  • À Vienne (Autriche), référence européenne en matière d'égalité, des parkings sont réservés uniquement aux femmes.

Les marches exploratoires sont aussi un bon outil, la ville de Vienne en réalise depuis plus de 30 ans. Pour autant, faut-il réduire les femmes dans la ville à un statut de victime ? "Plutôt que l'optique sécuritaire, nous avons opté pour le parti pris inverse, explique Charline Ouarraki, nous pensons qu'en s'appropriant la ville, les femmes s'y sentiront bien." Pour obtenir le maximum de solutions, l'association womenability va parcourir le monde, s'arrêtant dans 25 grandes villes pour y faire des marches exploratoires et en tirer les bonnes pratiques.

Innovation et ville durable

Lorsque l'on parle de la ville de demain, on pense à une smart city, hyper-connectée, sans voiture, avec des vélos et des panneaux solaires. Mais cette vision du futur méconnaît certaines réalités actuelles.

Le vélo est une pratique majoritairement masculine : 62% des cyclistes sont des hommes (contre 38% de femmes), la nuit et par temps de pluie l'écart se creuse (chiffre issu de l'ouvrage d'Yves Raibaud). Question de sécurité encore, et de tenue vestimentaire ensuite. Arriver en sueur au bureau, passe encore pour un homme, mais une femme certainement pas.

La voiture ? "Les femmes prennent trois fois plus la voiture pour les accompagnements de personnes, les enfants et les personnes âgées, que les hommes, note Yves Raibaud. Ainsi que pour l'approvisionnement du ménage."

Si ces dimensions ne sont pas prises en compte dans l'élaboration des futures villes, les inégalités ne seront pas réduites mais accentuées pronostique Yves Raibaud. Avant d'ajouter, "si on parle de ville durable philosophiquement, c'est celle qui peut avoir des enfants, et reproduire de génération en génération." Avec une place égale pour femmes et hommes donc !

Pour aller plus loin :
La ville faite par et pour les hommes, Yves Raibaud, Belin, 2015.