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VISITE - La vallée de la Loire recèle des trésors souterrains, parmi eux, la maison semi-troglodyte de Patrick Edgard-Rosa. Suivez le guide.

Le monde se divise en deux catégories... mais pas à la manière dont le formulait Blondin. Rien à voir avec des bons, des brutes, ou des truands. Il s'agit de grottes, de cavernes, de monde d'en dessous opposé au monde d'au-dessus. Remarquez que, comme dans le film de Sergio Léone, il y a bien quelqu'un qui creuse, mais, dans notre cas, rien de dévalorisant à cela.

Plongée dans le monde d'en bas à Parnay, au coeur de la vallée de la Loire, à quelques kilomètres de Saumur. Patrick Edgard-Rosa, 62 ans et photographe de profession, a embrassé le monde troglodyte il y a 15 ans, en achetant cette maison semi-troglodyte et un gîte voisin.

L'entrée de la maison semi-troglodyte.

L'entrée de la maison semi-troglodyte. © Adèle Ponticelli

Cet intérêt sommeillait depuis bien plus longtemps. Une adolescence de scout à faire de la spéléo, puis des voyages à travers le monde qui l'amènent à découvrir des habitats troglodytiques impressionnants. En Syrie notamment.

Patrick veut transmettre cet amour du monde du dessous. Il a créé un portail pour guider les futurs "troglonautes", donner des conseils, mettre les gens en relation, informer. Mais, tout le monde ne tombe pas sous le charme. Certains sont séduits, quand d'autres le trouvent inquiétant. C'est quitte ou double.

Un monde qui a ses règles

Installée dans la roche de tuffeau, la maison recèle des merveilles d'atmosphère, de lumière douce et de pierres tendres. D'abord carrière d'extraction au XI ou XIIe siècle, elle a dû être tour à tour habitat pour tailleur de pierre, vigneron, agriculteur (des enclos étaient réservés au bétail).

Puis, au XVIIe siècle, les troglodytes ont connu une période de désaffection, considérées comme "réservées aux pauvres", raconte Patrick. Vient ensuite le temps où les caves ont été transformées en champignonnières ou dédiées à la culture d'endives. La mondialisation de la production a mis fin à cette économie.

Le jardin. À droite, l'entrée du dédale de caves.

Le jardin. © À droite, l'entrée du dédale de caves. Adèle Ponticelli

De nombreuses caves vides. Certaines pourraient héberger des datacenters. D'autres, comme celle de Patrick et sa femme Renée, retrouvent leur fonction d'habitation. "C'est un monde qui a ses règles", prévient le propriétaire. "Si vous ne respectez pas la roche, le ciel vous tombe littéralement sur la tête."

Ce ne sont pas des paroles en l'air. Le "ciel" est le nom donné à la partie située entre la roche du plafond et la surface. Et si le lieu n'est pas entretenu, le ciel tombe. Le risque d'effondrement concernerait 70% des caves de la région, selon Patrick Edgarosa, devenu spécialiste du monde souterrain.

Lui a veillé à écarter cette menace de son domaine. Il a réalisé des travaux de confortement, (qui consistent à renforcer et soutenir la roche) et peut donc profiter sans crainte de sa demeure. Et nous la faire découvrir.

La visite

On y pénètre par une verrière, destinée à faire rentrer le plus de lumière possible, jusqu'au fond de la maison-grotte. À gauche, une salle à manger, à droite, une cuisine avec une cheminée en tuffeau, en face, une autre verrière qui transmet la lumière au salon.

Cuisine avec, au sol, des tomettes d'origine. Les trois chats et le chien s'y retrouvent pour manger.

Cuisine avec, au sol, des tomettes d'origine. © Les trois chats et le chien s'y retrouvent pour manger. Adèle Ponticelli

Une seconde cheminée, dotée d'un four à pain régulièrement utilisé, s'élève dans ce salon qui a perdu toute dimension connue du monde du dessus. Aucun plafond à proprement parler, mais une paroi de roche située à plusieurs mètres du sol.

La salon avec le four à pain. Au fond, une troisième verrière pour empêcher le froid des caves de rentrer, tout en laissant passer la lumière. En été, tout est grand ouvert.

La salon avec le four à pain. © Au fond, une troisième verrière pour empêcher le froid des caves de rentrer, tout en laissant passer la lumière. En été, tout est grand ouvert. Adèle Ponticelli

Le clou de la maison est sans nul doute la salle de bain. Mitoyenne au salon, elle non plus n'a pas de plafond. On peut admirer la voûte de pierre, tranquillement du fond de la baignoire à pieds. L'été, on peut aussi y voir passer les chauves-souris, qui nichent dans les anfractuosités. Des colocataires noctambules que Patrick a tenu à garder.

La salle de bain majestueuse. Le couple ne s'est jamais servi du chauffage au gaz, mais le garde pour la déco.

La salle de bain majestueuse. © Le couple ne s'est jamais servi du chauffage au gaz, mais le garde pour la déco. Adèle Ponticelli

Tout autour de la baignoire, la décoration japonisante respire la quiétude. La lumière tamisée dépose un voile de douceur sur l'ensemble. On se demande comment ils font pour sortir du bain...

La douche a pris place dans une ancienne cuve à vin.

La douche a pris place dans une ancienne cuve à vin. © Adèle Ponticelli

Le reste de la maison s'élève contre la roche, sur deux étages. Un seul mur garde le caractère troglodytique. Mais le monde du dessous règne encore. La décoration est le fruit d'objets récupérés dans les caves.

Au deuxième étage, la chambre du couple. Le tapis est légèrement dérangé car Che, le chien, a couru après Luna, la petite chatte.

Au deuxième étage, la chambre du couple. © Le tapis est légèrement dérangé car Che, le chien, a couru après Luna, la petite chatte. Adèle Ponticelli

Des portes poncées sont devenues des placards, des échelles se sont faites balustrades pour l'escalier, une tête de lit en métal s'est transformée en garde-corps à la fenêtre.

Placards de la chambre réalisés avec des portes récupérées dans les caves.

Placards de la chambre réalisés avec des portes récupérées dans les caves. © Adèle Ponticelli

Des anciennes échelles ont servi à réaliser la balustrade de l'escalier.

Des anciennes échelles ont servi à réaliser la balustrade de l'escalier. © Adèle Ponticelli

Il faut passer par le jardin pour accéder au dédale de caves. Certaines sombres et tout en longueur, une autre parée d'une cheminée vieille de plusieurs siècles, et une percée d'un puits de lumière et d'une hauteur aspirante.

La cave avec le puits de lumière. Là, Patrick organise des soirées, des méchouis et aussi des expositions.

La cave avec le puits de lumière. © Là, Patrick organise des soirées, des méchouis et aussi des expositions. PER, faiseur d'images, 2013. Avec l'autorisation de Patrick Edgard-Rosa

La vie en troglo

En quoi vivre dans une maison troglodyte change-t-il le quotidien ? Patrick prend le temps réfléchir. "Une alimentation plus normale, sans surgelés". Les légumes sont hors du frigo, à température ambiante.

Dans une maison troglodyte, quelle que soit la température extérieure, il ne fait jamais moins de 8°C. Inversement, l'été, le mercure franchit rarement la barre des 14°C. "On ne chauffe jamais au-dessus de 19°C", témoigne Patrick, un ancien frileux qui s'est complètement habitué à ce mode de vie. "Depuis que ma femme s'est installée ici, elle ne tombe plus malade à chaque début d'hiver à cause des variations de température."

Le salon, dans toute sa hauteur.

Le salon, dans toute sa hauteur. © Adèle Ponticelli

Autre avantage : les économies de chauffage (au granulés de bois en ce qui concerne la maison du couple). Cela attire les Français en quête de maisons écologiques. Fait rare, la maison troglodyte permet d'allier la belle pierre et le patrimoine à la sobriété énergétique, tant recherchée aujourd'hui.

Mais s'il y a bien quelque chose à laquelle il faut faire attention dans les maisons troglodytes, c'est la circulation de l'air intérieur. Sinon, la maison à vite fait de devenir une champignonnière humide bien malgré vous.

Patrick Edgard-Rosa et sa femme Renée

© Patrick Edgard-Rosa et sa femme Renée Avec l'autorisation de Patrick Edgard-Rosa

Grâce aux caves et à leurs multiples entrées, l'air circule librement chez Patrick, mais il conseille l'installation d'une VMC ou d'extracteurs, pour ceux qui n'auraient pas cette chance. Il ne faut pas non plus trop chauffer, car cela produit de la condensation, qui génère encore plus d'humidité. Quoi qu'il en soit, mieux vaut éviter les maisons exposées Nord.

Bien s'entendre avec ses voisins

Point autrement important, vivre en maison troglodyte nécessite de bien s'entendre avec ses voisins du monde d'en haut. Car on peut être propriétaire d'une habitation souterraine sans posséder la surface.

"J'ai demandé à mon voisin de couper un sapin, car il a des racines pivotantes qui fragilisent la roche", raconte Patrick. Les arbres doivent être taillés, sans quoi leurs racines risquent de faire éclater la pierre de tuffeau.

C'est pourquoi, il ne faut pas se lancer n'importe comment dans l'aventure souterraine. Lors de l'achat d'une maison troglodyte, il faut consulter un géologue pour évaluer la qualité de la roche, mais aussi un géomètre qui délimite le terrain avec celui voisins, afin d'éviter de potentiels problèmes juridiques.

Une fois cela pris en compte, il ne devrait pas y avoir de problèmes. À vous de voir si vous êtes prêt à épouser la roche. "Vivre en habitat troglodytique oblige à beaucoup d'humilité, conclut Patrick. Vous réalisez que la roche va vous survivre, que vous n'êtes que de passage.” D'un monde à l'autre...

Bonus : découvrez les photos du gîte