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PSYCHO - Hélène L'Heuillet, philosophe et psychanalyste, nous explique l'origine de ce drôle de phénomène. Entre peur d'un retour à la normale et besoin de rester dans sa bulle.

Depuis le début du déconfinement, c'est une expression que l'on lit un peu partout : le syndrome de la cabane. Alors que certains attendaient le fin de la quarantaine avec impatience, d'autres éprouvent une certaine angoisse à l'idée de mettre un pied dehors. Malgré l'autorisation de sortir, ces derniers préfèrent rester à la maison. Un phénomène qui daterait du début du 20ème siècle aux États-Unis, lorsque les chercheurs d'or, après avoir passé plusieurs mois dans une cabane, éprouvaient de l'anxiété à l'idée de ressortir.

Peur de contracter le virus ou simple plaisir à passer du temps chez soi ? Nous avons interrogé Hélène L'Heuillet, philosophe et psychanalyste, autrice de Éloge du retard : où le temps est-il passé ? (Ed. Albin Michel, 2020), qui revient sur l'origine de cette tendance et ses conséquences sur notre bien-être. Entretien.

18h39 : Depuis le déconfinement, certaines personnes sont victimes du “syndrome de la cabane”. Après deux mois d'enfermement on aurait pu imaginer que tout le monde aurait  envie de sortir de chez soi. Comment l'expliquez-vous ?  

Hélène L'Heuillet : Ça peut surprendre, mais contrairement à ce que craignaient les pouvoirs publics, pour certains il est difficile de sortir de chez eux. Parce que le problème, c'est justement notre rapport à la maison et à l'opposition “dedans-dehors”, qui a été accentuée avec le virus. 

Mais je ne suis pas trop d'accord avec cette notion du syndrome de la cabane. Ce n'est pas une notion clinique, elle n'a pas été établie en psychiatrie. C'est quelque chose de descriptif qui a été employé pour parler des chercheurs d'or qui vivaient dans la forêt. 

Qu'est-ce qui pose problème selon vous ? 

Ce que je trouve problématique ce n'est pas la cabane, car après tout dans la cabane il y a des portes et des fenêtres, il y a un rapport avec un dehors. Ce que je trouve problématique c'est le moment où la maison se transforme en bulle, on dit “on rentre dans sa bulle”. Là il y a une jouissance de l'enfermement, qui devient très problématique et qui a été encouragée par la situation sanitaire. 

C'est normal car l'autre est un danger potentiel, une menace. Et cela fait grimper l'anxiété générale concernant les échanges et une tendance à se replier sur l'intérieur. Je n'aime pas le terme cabane, je préfère l'appeler syndrome de la bulle. Il nous rappelle qu'on peut mourir pour essayer de ne pas mourir. Dans une bulle, on étouffe et on meurt. Or nos maisons ne sont jamais des bulles, elles ont des portes et des fenêtres. 

Que risque-t-on à vouloir rester dans cette bulle justement ? 

Dans une bulle ce n'est plus la peine de prendre une douche, plus la peine de faire le ménage. On ne prend plus soin de soi car c'est le rapport à l'autre qui nous fait prendre soin de nous même. La jouissance de l'enfermement vient de notre passion pour l'immobilité. Il y a dans le vivant ce que Freud appelle une pente à l'immobilité, c'est aimer ne plus vivre. On croit vivre mais en fait on vit en mode mineur, on n'a plus suffisamment d'échanges pour cela. 

Vous qui travaillez sur le temps, ce syndrome exprime-t-il aussi la volonté de se couper d'un monde qui va trop vite ?

Tempérons ! On était tellement pris dans un rythme effréné qu'on avait tous besoin d'une pause. Une pause pour se poser ! Qui nous a permis de redéfinir ce que c'est qu'habiter, ce que c'est que le voisinage, que de prendre soin de son intérieur. Mais ne pas oublier que cet intérieur n'est jamais qu'un intérieur parce qu'il est ouvert. 

En fait, plus qu'une peur de contracter le virus, ce syndrome vient surtout d'une angoisse de retrouver la vie normale et ses contraintes.

Oui tout à fait. La peur de contracter la maladie pour ceux qui ont été pris par ce syndrome a été parfaitement irrationnelle. Il y a un sondage qui montre que ce sont les plus jeunes qui souffrent le plus de la peur de contracter la maladie. Or avec la Covid-19 précisément, le taux de mortalité augmente avec l'âge. Toutes les courbes le montrent ! Les jeunes sont les moins en danger et ce sont eux qui ont le plus de mal à sortir.

Bien entendu il y a quelque chose comme un rapport à la prise en charge. Comme pour les gens qui sont en prison ou qui ont été hospitalisés longtemps, et ont été pris en charge par un organisme de soin ou organisme punitif. Tout est pris en charge par l'autre. On comprend que ce soit les plus jeunes qui souffrent du syndrome de la cabane, car ce sont eux qui voudraient être pris en charge encore un peu. Tandis que les mères de famille qui devaient s'occuper du travail des enfants, des courses, elles doivent être bien contentes de pouvoir sortir de chez elles ! 

Lire, prendre du temps pour soi, découvrir les joies de passer du temps à l'intérieur. On a remarqué une forme d'éloge du confinement. N'est-ce pas un sentiment réservé aux privilégiés ? 

Le sociologue Veblen dans La théorie de la classe de loisir, montre bien que le loisir, l'exemption de travail, reste toujours l'apanage des classes privilégiées. Ceux qui étaient en loisir forcé, parce qu'ils étaient dans la restauration, le spectacle, et qu'ils n'avaient pas de revenus, n'ont pas du tout vécu les choses avec la même tranquillité.

Comme tous ceux qui étaient en télétravail avec la menace du burn out à domicile quand il fallait en plus, dans quelques mètres carrés, faire la classe aux enfants et partager un ordinateur pour toute la famille. 

Le loisir, le fait de pouvoir goûter au temps retrouvé, n'a pas du tout été majoritaire. Malgré tout, que l'on vive en ville ou à la campagne, on s'est dit : ouf, il y a quelque chose qui change. Le rythme de vie était tellement fou que l'on s'est trouvé dans la situation des collégiens dont le prof est absent. Un peu de liberté ! Après quand on apprend que le prof est gravement malade on est moins fier, on ne peut pas tant se réjouir. 

Comment faire pour trouver un équilibre entre la nécessaire ouverture sur l'extérieur et le fait de ne pas retomber dans une frénésie du quotidien, un trop plein ?  

Il est beaucoup trop tôt pour le savoir et les meilleures choses se font toutes seules. Pour l'instant il faut réfléchir à ce qui nous est arrivé. On a pas encore fait le tour de ce temps du confinement. Il ne faut pas se précipiter, on est déjà trop pressés d'en tirer des leçons. On n'avait pas fini le confinement qu'on se demandait à quoi ressemblerait le monde d'après. D'ailleurs rien ne nous prouve qu'à l'automne prochain, ça ne recommencera pas. 

Ne nous hâtons pas de tirer des leçons. Sinon on va faire comme tous les 1er janvier, on va prendre des résolutions qu'on aura oublié le 2. Il faut mûrir un petit peu ce qu'on a vécu. Et ne pas le prendre sur un mode comportemental : “Je vais prendre quelques heures supplémentaires dans mon emploi du temps pour jouer avec mes enfants”. Non, ça ne va pas marcher, car le jour où je serai préoccupé-e par mon travail, ça passera à la trappe. 

On pensait que nos modes de vie ne pouvaient pas changer, et d'un seul coup un minuscule petit virus est capable de tout transformer. La moitié de la population mondiale était assignée à résidence fin mars. C'est énorme ! Le gros du travail qu'on a à faire est sur le temps, tout découle de cela.