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PORTRAIT - À l'occasion de la sortie de son livre Belleville au coeur, nous avons rencontré “l'ex-SDF 2.0”, Christian Page. De quoi nous rappeler qu'on ne naît pas sans-abri, on le devient. 

"J'ai un toit" écrit Christian Page à la fin de son livre, Belleville au coeur (Ed. Slatkine & Cie, 2018). Pourtant, l'ancien SDF nous accueille dans une petite chambre, au 6ème étage d'un hôtel de Clichy, en banlieue parisienne. Après trois années dans la rue, on s'imaginait, naïvement, le retrouver dans un petit studio.

Avec son bandana rouge, qu'il ne quitte jamais, et son franc-parler, dont il a encore usé la veille sur un plateau télé face au porte-parole du gouvernement, on a le sentiment de déjà le connaître, de rendre visite à un vieil ami qui goûte enfin au répit après une succession de galère.

Quand on lui demande ce qu'il a ressenti lors de sa première nuit à l'abri, il nous renvoie à nos propres idées reçues et nous répond : “Tu sais, avant d'être à la rue, j'ai passé toute ma vie dans un appartement, ça n'avait rien de nouveau pour moi.”

On ne naît pas sans-abri, on le devient

En effet, avant d'arpenter les rues du quartier de Belleville à Paris, Christian Page menait une vie on ne peut plus normale, dans son F3 avec sa femme et son fils. Comme on le comprend à travers son livre, on ne naît pas sans-abri, on le devient. Cet ancien sommelier parle du “triple sacrement de la poisse” : problème de couple, problème professionnel, problème de logement.

Suite à un “mauvais divorce”, Christian sombre dans une dépression pendant plus d'un an et perd son travail, dans un grand restaurant parisien. “Un jour j'ai les huissiers à la porte et je me fais expulser. Je n'ai jamais voulu aller à la rue et pour la plupart des gens c'est comme ça”, rappelle-t-il, alors qu'il roule une cigarette, assis sur son lit.

Les semaines qui précèdent son expulsion, il anticipe, prévient les services sociaux, demande un hébergement d'urgence et en parallèle part explorer son quartier “pour repérer des lieux où dormir”, nous raconte-t-il.

Il n'a pas de souvenir précis de sa première nuit dans la rue, mais se souvient bien, lors de son premier hiver, des centres d'hébergement du 115, le numéro du Samu Social. “Embrouilles, larcins, punaises dans les draps, merde dans les douches”, écrit-il. On ne l'y reprendra plus. Et d'ajouter “ça touche à la dignité humaine.

Porter sa maison sur le dos pour conserver sa vie

Il faut alors se trouver un spot, que l'on garde précieusement. Il se souvient : “un endroit abrité de la pluie et du vent, un endroit tranquille, un peu en retrait pour ne pas être trop près du trottoir et éviter les vols.

Quand il n'y dort pas, Christian Page se rend place Sainte-Marthe, pour y retrouver ses compagnons de galère, son sac sur le dos, sa “maison”, comme il nous le rappelle.

Dans ce sac à dos de montagne, il conserve précieusement toute sa vie. La poche de droite fait office de cuisine, on y trouve des bières, des boîtes de thon, dans celle de gauche c'est son bureau avec sa radio, ses carnets et au fond, sa chambre et ses deux sacs de couchage.

© Jeremy Henry

Témoigner et interpeller grâce à Twitter

Dans la rue, il n'y a pas que son sac dont il ne se sépare jamais. Son téléphone portable est devenu un outil indispensable puisqu'il lui permet de consulter Twitter, réseau social sur lequel il tient “une espèce de petit journal de rue quotidien.

À l'époque, on peut lire dans sa bio “SDF 2.0”, un surnom qui lui va comme un gant car depuis son compte, Christian Page interpelle, s'indigne ou alerte. Tout a commencé lorsqu'un employé de la mairie de Paris l'arrose avec son jet d'eau en plein hiver. Il raconte sur Twitter, l'agression dont il est victime, ce qui lui vaudra des excuses personnelles de la part d'Anne Hidalgo, la maire de la capitale.

Le “twitto” des rues se sert de sa notoriété nouvelle pour servir de porte-voix à celles et ceux qui n'en ont pas ou que l'on ne souhaite pas entendre. Comme ce jour de décembre 2017,  où il demande à la mairie de retirer un dispositif anti-SDF dans une rue du 19ème arrondissement. Son tweet sera partagé plus de 2000 fois et le dispositif retiré le lendemain.

Un logement de dépannage attendu pendant trois ans

Malgré sa popularité grandissante, Christian Page n'échappe pas aux regards méprisants des riverains. Toutefois, il précise qu'il doit sa survie à la solidarité des gens de son quartier, qui l'accueillent pour faire des lessives, boire un café ou passer la nuit, chez l'humoriste Guillaume Meurice par exemple, “un pote”, nous lance-t-il.

Mais la main tendue des “samaritains”, comme il les appelle, ne suffit pas à sortir quelqu'un de la rue. Le “clodo officiel de Belleville” aura attendu presque trois ans et demi pour qu'un travailleur social lui attribue un logement de dépannage dans un Centre d'Hébergement et de Réinsertion Sociale (CHRS) d'Emmaüs Solidarité.

Un problème de volonté de la part de l'État selon lui. “Il y a environ 120 000 places d'hébergements, 136 000 cet hiver avec le plan grand froid, mais la fondation Abbé Pierre dit qu'il y en a 150 000. Donc quoi qu'il se passe, il y aura 15 ou 20 000 sans-abri qui l'auront dans le cul.

En attendant d'obtenir un logement social, Christian Page reprend des forces, réapprend à dormir normalement et se concentre sur la promotion de son livre. Difficile d'élaborer des projets sur le moyen ou le long terme, un stigmate de sa vie d'avant, selon lui.

Il a toutefois une idée qui lui trotte dans la tête : intégrer d'ici quelques mois une formation pour devenir community manager. Quelque chose nous dit qu'il est fait pour ça.

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