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BANDE DESSINÉE - Qu'ils soient célèbres ou inconnu-es, les auteurs et autrices de BD sont inspiré-es par le confinement.

Le confinement a relancé une activité autrefois prisée : le journal de bord. Sur Instagram, Twitter, Facebook, des centaines de dessinateurs-rices se sont lancé-es dans cette forme de récit plus ou moins personnel afin de laisser une trace de cette époque, de ses travers, de ses absurdités, de ses questions.

Loin des tirades ennuyeuses ou moralistes de célébrités, ces petits journaux illustrés racontent le quotidien avec humilité et cherchent surtout à nous divertir. "Faire rire les gens c'est la seule manière que j'ai trouvé pour me rendre utile en tant que dessinatrice durant cette période difficile", nous confie Gormand.A, dessinatrice et illustratrice de 24 ans, confinée avec sa famille à Montreuil. La jeune fille a même glissé des dessins sous la porte de ses voisins pour proposer son aide !

Mais d'habitude, c'est plutôt sur son compte Instagram qu'on peut lire ses aventures en confinement, petites saynètes drôles et poétiques où l'ennui côtoie la création, la raison la folie, et le silence le bavardage. "Je ne pense pas que le confinement me rende plus créative. C'est plutôt les situations engendrées par cette quarantaine qui sont plus étranges... Et c'est ma famille qui m'inspire, parfois ils font quelque chose de drôle et après ils me regardent : - Tu mets pas ça dans tes bédés hein?!"

Masques et gel hydro-alcoolique au milieu des vampires

Se retrouvant dans une posture finalement assez habituelle pour eux, assis à leur table de dessin toute la journée, les auteurs et autrices ont fait ce qu'ils savent faire depuis toujours : raconter des histoires, jouer avec les formes et les mots. Les stars du genre ont donné l'exemple, comme Lewis Trondheim, qui propose chaque jour sur Twitter un jeu, où ses lecteurs sont invités à dessiner la dernière case d'un strip pour deviner comment l'histoire se termine.

Joan Sfar, lui, s'est lancé sur Instagram dans le journal de confinement de l'une de ses héroïnes, Aspirine la vampire. Le créateur du Chat du rabbin et de Petit Vampire s'amuse avec un malin plaisir à saupoudrer des détails réalistes du confinement dans une histoire fantastique. Attestations, policiers, masques et gel hydro-alcoolique se retrouvent donc au milieu de vampires, monstres et démons.

Sans toujours se lancer dans l'exercice du journal à proprement parler, d'autres grands auteurs et autrices comme Riad Sattouf, Manu Larcenet, Charles Berberian, Nine Antico, entre autres, font des clins d'oeil réguliers au confinement. Livio, auteur de La Vie moderne, parodie habilement des tableaux classiques en les arrangeant à la sauce COVID-19.

La BD évite l'écueil de la romantisation du confinement

Au départ, beaucoup de ces journaux en BD ont été improvisés, ils n'avaient pour objectif que de donner des nouvelles aux ami-es. "Lorsque j'ai entendu le discours de Macron, j'ai eu besoin de prendre du recul sur ce qui ce passait, nous explique la dessinatrice Gormand.A, alors je suis revenue aux sources : une idée, 4 cases. Après avoir posté ma première planche j'étais lancée. Ça me donne un rythme de vie : le matin, je fais mon strip, l'après-midi je travaille sur d'autres projets."

Même son de cloche chez le dessinateur Axel Ruch, qui publie lui aussi des strips très drôles sur Instagram. Il dit avoir trouvé un rythme de vie grâce au journal et prendre plaisir à cet exercice, qu'il connaît bien : " Je faisais déjà beaucoup de carnets de voyage et je m'amusais à raconter mes péripéties à l'étranger. J'aime beaucoup me mettre en scène et me faire passer pour (un peu) plus idiot ou malheureux que je ne le suis. J'adore travailler mon personnage du type qui ronchonne tout le temps".

Alors que certains écrivain-es ont été très critiqué-es, accusé-es d'enjoliver le confinement en ne présentant que les aspects les plus bourgeois, que ce soit à la campagne ou dans de grands appartements, ces dessinateurs-rices reçoivent surtout des compliments de la part de leur communauté. "Je n'ai pas peur de choquer qui que ce soit avec mes histoires, note Axel Ruch, je ne pense pas romancer le confinement. Au contraire, je pense qu'il est important pour chacun d'exorciser cette drôle de période, pétrie d'angoisse, avec ce qu'il peut : j'ai la chance de pouvoir le faire avec le dessin !" 

L'angoisse, Théo Grosjean connaît bien. Grand anxieux, il dessinait déjà un journal de bord depuis plus d'un an, intitulé "L'homme le plus flippé du monde". Avec le coronavirus, ses angoisses existentielles ont du grain à moudre ! Dans un joli strip, il montre comment le confinement l'a poussé à se retrancher dans une zone de confort régressive, bien à l'abri derrière son château fort aux fortifications fabriquées en livres, jeux vidéo et BD de son adolescence.

Mine de rien (non, n'ajoutez pas "mine de crayon"), ces bandes dessinées forment également un pan d'archives de cette séquence unique dans notre histoire contemporaine. "J'aime bien l'idée qu'en 2050 on étudiera la période du Grand Confinement, analyse la dessinatrice Gormand.A. Toutes les traces qu'on aura laissées (écrits, bande dessinées, photos) seront autant de témoignages qui permettront au futur de savoir comment on aura vécu cette période."