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JARDINAGE - De plus en plus de résidences et d'hôpitaux prévoient des jardins thérapeutiques, source de bien-être pour les patients en quête d'autonomie et de nature.

Qu'il neige, qu'il pleuve, qu'il vente, je suis là”, affirme fièrement Elisabeth, 46 ans, assise devant son rosier préféré. Pour rien au monde, elle ne manquerait un jour au jardin thérapeutique de la maison des Aulnes, dans les Yvelines.

Elisabeth a intégré ce foyer d'accueil médicalisé en 2007, après deux AVC. Elle y bénéficie d'un accompagnement médical pensé pour les personnes cérébrolésées, qui, suite à un accident vasculaire cérébral ou un traumatisme crânien, souffrent de déficits neurologiques, de troubles de la mémoire et parfois de troubles du comportement.

Mais, ici, elle profite aussi d'un jardin un peu spécial mis à la disposition des patient-es à l'arrière de la résidence : un jardin thérapeutique.

Elisabeth ne manque jamais un jour au jardin du foyer médicalisé. © 18h39

Tous les mercredis matin, Elisabeth s'y rend pour semer, planter, arroser et gérer une partie du potager. Ce qu'elle préfère, “c'est le contact avec le sol, mettre [s]es mains dans la terre”.

Toutes celles et ceux qui ont la main verte vous le diront, jardiner fait du bien au moral. Alors nous nous sommes posé la question : le jardinage aurait-il des vertus médicales ?

Un jardin pour soigner plutôt que guérir

L'idée ne date pas d'hier. Hervé Brunon, historien des jardins et directeur de recherche au CNRS, rappelle que le jardin thérapeutique était déjà discuté au début du 19ème siècle, “à partir de l'époque des Lumières et de la formation de la psychiatrie, notamment chez Pinel.

Le Danois Hirschefeld, qui écrivit La théorie de l'art des jardins, évoquait déjà en 1781 “un lien entre la thérapie de la mélancolie et le jardin”, souligne l'historien. Un lien que l'on peut attribuer, selon Marsile Ficin, philosophe de la Renaissance, aux vertus physiologiques de la couleur verte. “Une couleur ni trop sombre, ni trop claire”, qui aurait des effets bénéfiques sur le corps et l'âme.

Aujourd'hui personne n'affirme que le jardin thérapeutique guérit, mais il a bien un effet sur le bien-être des personnes qui le fréquentent. C'est pourquoi Anne Ribes, qui a créé l'association Belles Plantes en 1997 avec son mari, promeut l'utilisation du jardinage auprès des institutions qui prennent en charge les personnes malades.

Vue du jardin thérapeutique du CHRU de Nancy. © L.Verger-CHRU Nancy- septembre 2018

Cette pionnière préfère au terme “thérapeutique”, celui de “soin” pour s'éloigner du vocabulaire de la médecine. “En soignant le jardin, le soigné devient le soignant”, précise cette infirmière et autrice de Toucher la terre : jardiner avec ceux qui souffrent (Ed. Médicis, 2011).

Faire grandir le jardin, veiller sur lui, observer son évolution au gré des saisons, sont autant de moyens d'oublier la maladie et son lot de souffrances qui l'accompagne parfois. “C'est une façon de revivre, de remettre du vivant partout”, ajoute Anne Ribes.

Raison pour laquelle les jardins thérapeutiques se multiplient dans le cadre du traitement de la dépression, du burn-out ou de l'addiction entre autres. Ce complément aux traitements médicaux mise avant tout sur le bonheur des patient-es.

Pour Hervé Brunon, la pratique du jardinage “permet de retrouver une temporalité naturelle, essentielle dans notre monde hyper-connecté.”

À Nancy, on traite la maladie d'Alzheimer avec le jardin

À Nancy, le Centre Hospitalier Régional et Universitaire (CHRU) a inauguré en 2010 un jardin thérapeutique à destination des personnes atteintes de la maladie d'Alzheimer. Thérèse Jonveaux, neurologue, responsable du projet, a imaginé un jardin adapté aux capacités physiques de ses patient-es.

Nous avons adapté le mobilier en plaçant des jardinières en hauteur, pour permettre aux personnes qui ne peuvent pas se baisser de jardiner debout”, détaille-t-elle.

L'idée est de rendre le jardin le plus accessible possible pour que les patient-es “soient en sécurité et puissent y aller à tout moment, même la nuit”, précise le Dr Jonveaux.

Alors quels effets sur la maladie ? “C'est une source d'enrichissement sensoriel. L'évocation de souvenirs liés au jardin facilite la communication avec les soignants et les familles”, répond la neurologue. Selon le CHRU de Nancy, la pratique du jardinage pour les personnes malades est aussi un moyen d'améliorer l'appétit et le sommeil.

Mais la pratique du jardin est avant tout un moyen de “redonner un sentiment d'autonomie dans des structures hospitalières où il y a peu de place pour le choix”, précise Thérèse Jonveaux. Lorsqu'ils choisissent une tenue appropriée en fonction du temps qu'il fait dehors, les patient-es sont seul-es décisionnaires.

Donner confiance et se sentir utile

L'autonomie et la responsabilité sont des principes majeurs du jardin thérapeutique du Foyer d'accueil médicalisé de Maule, que gère Stéphane Lanel. “Ici, on essaie de recréer une société, avec du travail et beaucoup de plaisir“, nous explique-t-il alors que nous traversons le jardin d'Epicure en compagnie de résident-es.

Avant d'intégrer la résidence, Elisabeth était responsable commerciale dans une entreprise de sécurité. “Ça me manque, un truc de ouf”, lance-t-elle.

Le jardin de la maison des Aulnes. © 18h39

Le jardin, qu'elle fréquente assidûment, est devenue pour elle une activité valorisante, une façon de se sentir utile.

D'ailleurs, contrairement au CHU de Nancy, aucune adaptation spécifique n'a été mise en place. Stéphane Lanel explique : “les résidents n'en voulaient pas, ils avaient besoin de se mettre en danger, de mériter. C'est cette autonomie qui leur permet de sortir de la dépendance.

Alors, faut-il prescrire des séances de jardinage à tous et à toutes, chez soi ou dans des jardins partagés ?

La Dr Thérèse Jonveaux est catégorique : rien ne prouve que jardiner à la maison prévienne le développement de la maladie d'Alzheimer ou même la dépression. En revanche, une chose est certaine : “jardiner contribue à une meilleure qualité de vie, à un meilleur bien-être”, conclue-t-elle.

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