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SUCCESSION - Aider ses enfants de son vivant, en leur léguant sa maison : une bonne idée ? Cette décision, avantageuse pour certains, ne se prend pas à la légère.

Claudette et Bernard, 76 ans tous les deux, voulaient aider leurs trois enfants de leur vivant. Pourquoi attendre ? "Ce n'est pas quand ils auront 70 ans qu'ils auront besoin d'argent", affirme Claudette d'une voix chantante et enjouée.

Il y a 10 ans, ils ont donc organisé une réunion de famille pour transmettre dès maintenant leur patrimoine. À première vue, rien d'exceptionnel. Neuf donations sur dix se font de parents à enfants, et dans la moitié des cas, il s'agit d'un bien immobilier (terrain ou logement), comme le montre la dernière enquête Patrimoine, publiée par l'Insee en 2010.

Mais Claudette et Bernard sont allés encore plus loin. Ils ont choisi de donner leur résidence principale, située à Offemont, sur le territoire de Belfort, et non pas une résidence secondaire. Cette idée a rapidement fait l'unanimité, car toutes les conditions étaient réunies. Mais cette solution est-elle pour autant idéale pour tout le monde ?

Éviter les droits de succession

Jérôme, le fils cadet, 29 ans à l'époque, était le seul de la fratrie à ne pas encore être propriétaire. Il a pu faire un prêt pour racheter leurs parts à ses deux soeurs, déjà installées.

Pourtant, Jérôme n'a pas emménagé dans la maison. Il est nu-propriétaire, car ses parents ont fait une donation partagée avec réserve d'usufruit.

En clair, ils continuent de vivre dans la maison, payent la taxe d'habitation, assurent l'entretien courant. Jérôme deviendra pleinement propriétaire au décès de ses parents, sans payer aucun droit de succession. Ne pas emménager tout de suite ne lui pose pas de problème. En tant que gendarme, il est logé à la caserne.

Claudette ne voit que des avantages à cet arrangement, fixé devant notaire. L'aspect sentimental d'abord : "Mon fils ne voulait pas que la maison parte à des étrangers." Et bien sûr, l'argument financier : "Jérôme a payé la maison bien moins cher."

La valeur de la nue-propriété est fixée d'après l'âge de l'usufruitier. Claudette et Bernard avaient 66 ans au moment de la donation. Une décote de 40% a donc été appliquée sur la valeur de la maison, avant de calculer les parts rachetées par Jérôme à ses soeurs.

La donation donne aussi le droit à un abattement de 100 000 euros par enfant et par parent, renouvelable tous les 15 ans. Même si cette réduction d'impôts est moins importante que par le passé, cela reste un vrai coup de pouce.

Préserver la paix familiale

Par rapport à un héritage, la donation présente donc de nombreux atouts : aucun droit de succession à payer, une aide qui arrive au bon moment dans la vie des enfants... et de meilleures chances de préserver la paix familiale. En effet, une succession mal préparée peut donner lieu à un conflit entre les héritiers. Une situation souvent rencontrée par les notaires.

Me Olivier Jamet, qui exerce à Paris, évoque par exemple ces cinq frères et soeurs qui ont hérité du manoir parental en indivision. Ce statut complique la gestion du bien, car les décisions doivent être prises à la majorité.

Dans le cas de cette fratrie, impossible de se mettre d'accord pour vendre. La situation est bloquée... depuis 14 ans.  "Ils n'arrivent pas à s'entendre, et en attendant, le bien perd de sa valeur", déplore Me Jamet.

Avec la donation, les règles sont fixées par avance. Le notaire prendra soin de rencontrer toutes les parties pour être certain que tous aient conscience des implications.

Notamment, dans le cas d'une donation partagée (et au contraire d'une donation simple, qui privilégie l'un des enfants), la valeur de la maison est figée au moment de la transaction. Elle n'est pas réévaluée au moment du décès du donateur. Jérôme n'aura pas à dédommager ses soeurs si la maison a pris de la valeur dans le temps.

Un bémol : être sûr de pouvoir financer sa fin de vie

Malgré tous ces aspects positifs, Me Fabienne Magnan, elle aussi notaire à Paris, recommande la prudence. En particulier, elle déconseille de donner sa résidence principale.

"Il faut se poser la question du financement de sa fin de vie et de la dépendance, explique-t-elle. De plus en plus souvent, on doit vendre sa maison pour financer une place en maison de retraite, qui coûte très cher."

Dans l'éventualité où l'enfant est d'accord pour revendre la maison qu'on lui a donnée, il ne sera pas exonéré de l'impôt sur la plus-value. Cette exonération nécessite en effet d'être propriétaire depuis plus de 30 ans.

Une perspective qui n'inquiète pas Jérôme. "Je n'y ai pas réfléchi car je sais que la retraite de mes parents leur suffirait à payer une maison de retraite", confesse-t-il. Ses parents n'envisagent pas de vendre la maison.

Le plus prudent est de demander conseil à son notaire, qui étudie la situation particulière de chacun. "ll n'existe pas d'outil miracle, tout dépend des circonstances", souligne Me Magnan.

Trois conseils avant de donner sa maison à ses enfants :

  • En discuter avec tous ses enfants. Pour être serein, mieux vaut que la décision fasse consensus.
  • S'il s'agit de sa résidence principale, s'assurer que l'on aura les moyens de financer une maison de retraite ou des soins, sans vendre ce bien.
  • Demander conseil à son notaire calculer ses frais de succession. Ils sont souvent moins élevés que ce à quoi l'on s'attend, autour de 20% du patrimoine, d'après Me Magnan.

Pour en savoir plus sur les différentes formes de donation, regardez la conférence donnée par Me Jamet et Me Magnan aux rencontres notariales 2015.