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PORTRAIT - Il est capable d'éteindre n'importe quelle télévision. Son invention a fait de lui une légende dans le monde des hackers. Loin des écrans et des clichés, il passe maintenant ses journées un fer à souder à la main.

Avec ses cheveux arc-en-ciel et sa dégaine mi-hippie mi-geek, Mitch Altman passerait pour un huluberlu n'importe où ailleurs à Paris. Mais en ce week-end de printemps, lors de la Fête de la Récup' organisée par plusieurs recycleries, c'est la star qu'un monde de connaisseurs est venue voir.

Rassemblées autour de son stand, une vingtaine de personnes boivent ses paroles. Malgré le brouhaha ambiant, Mitch n'élève pas la voix et continue d'afficher un large sourire. Cette figure du monde des hackers est là pour partager sa vision d'un monde où la télévision reste à sa juste place : à la maison, sans envahir l'espace public.

Tv-B-Gone : appuyer sur le bouton

Mitch Altman n'a rien à voir avec les pirates de l'Internet qui attaquent entreprises et gouvernements à grands coups de virus informatiques. Sous ses instructions, une quinzaine de débutants de tous âges va souder les éléments de la Tv-B-Gone, son invention révolutionnaire. Un circuit imprimé et une diode : un système simple mais redoutablement efficace.

Car cette télécommande permet d'éteindre n'importe quel poste de télévision, à condition de l'avoir en face de soi. Mise au point pour son usage personnel, cette trouvaille a rencontré un succès fulgurant. Un demi-million d'exemplaires écoulés en dix ans.

Quand vous appuyez sur le bouton, le téléviseur s'éteint, et vous, vous revenez à la vie !” assène-t-il.

Se désintoxiquer de la télé

En 2014, les Français ont passé en moyenne 2 heures 14 minutes par jour devant le petit écran. Outre-Atlantique, la moyenne s'élève à 4 heures et 28 minutes par jour. Pendant longtemps, Mitch a largement dépassé cette performance américaine. C'est un accro à la télé jusque ses 19 ans. Un jour, il décide d'éteindre son poste et de ne plus jamais le rallumer. “Cold turkey !”, précise-t-il, un éclat de fierté dans la voix, “un sevrage brutal.

Avec pour effet secondaire, ses angoisses endormies qui l'assaillent de nouveau. Car si le jeune homme s'est abruti devant des séries, c'était pour oublier les moqueries de ses camarades d'école. Mitch reste discret sur l'origine de son mal-être, en dédouanant au passage ses parents. “Ils n'y pouvaient rien, c'était des gens très gentils, mais ils étaient impuissants.

Retrouver le sourire

Il y a quelques années, alors que son ami Ilya Zhitomirskiy vient de suicider à l'âge de 22 ans, Mitch publie une tribune sur internet, pour encourager les jeunes à s'ouvrir à leur entourage.

Je sais ce que cela signifie de croire que tout ce que la vie peut offrir, c'est cette souffrance à endurer jusqu'à finalement en mourir. (...) Et comme Ilya, je l'ai caché au reste du monde du mieux que j'ai pu.”, écrit-il alors, pour que la dépression ne soit plus un tabou dans le monde des geeks.

Aujourd'hui, à force de méditation et de yoga, Mitch respire la joie de vivre. Il n'a aucune difficulté à amuser ses élèves du jour dans son atelier parisien. Comme lorsqu'il exhibe sa casquette, dans laquelle il a dissimulé un exemplaire de sa Tv-B-Gone. De quoi éteindre les téléviseurs n'importe où, ni vu, ni connu. Un jeu auquel se prêtent souvent les adeptes de son invention, comme Jean-Pascal, la quarantaine. Régulièrement, celui-ci s'amuse à interrompre les tirages de Rapido dans les bars au moment fatidique. Et les matches de football ? “Là il faut courir vite !”, plaisante Jean-Pascal.

Mitch se fixe une limite : jamais il n'inventerait une télécommande pour éteindre les téléphones ou les ordinateurs des autres. “D'abord, ce serait beaucoup plus compliqué à mettre au point. Mais surtout, à la différence de la télévision, ils n'empiètent pas sur mon espace personnel.

Cultiver son indépendance

Débrancher ne l'amène pas à rejeter toute technologie pour autant. Dans les années 80, Mitch travaille même pour l'une des sociétés pionnières de la réalité virtuelle. VPL Research met au point entre autres le Data Glove, un gant qui permet de déplacer des formes virtuelles sur un écran d'ordinateur aux allures de mastodonte. Mais quand l'armée américaine commence à s'intéresser à ces simulateurs, Mitch démissionne.

Idem lorsque la Maker Faire, le grand festival américain qui célèbre la culture du Do-It-Yourself, accepte une subvention de l'agence de recherche du département de la Défense des Etats-Unis. Mitch choisit encore une fois de prendre ses distances. “Je refuse de travailler pour le lobby militaire”, justifie-t-il. “Pour le ministère de l'Education américain ou même le gouvernement chinois aucun problème, mais pas l'armée.

Et tout recommencer

En effet, Mitch se rend tous les ans en Chine. Son objectif : encourager la création de nouveaux hackerspaces, ces laboratoires où chacun peut fabriquer ses propres objets et en détourner d'autres. Au retour de l'un de ces voyages controversés, il justifie sa démarche dans un article : “Ça va aider l'éducation. Ça va aider à encourager la créativité et l'innovation. Ça va aider les individus.” Reste à faire fonctionner cette utopie au quotidien.

À Noisebridge, le hackerspace que Mitch a cofondé à San Francisco, la vie s'organise selon le principe de la "doocracy".“Si tu veux faire quelque chose fait-le, mais si ça ne plaît pas à quelqu'un alors il a le droit de le défaire”, explique Mitch.

Tout n'est pas rose pour autant. L'an dernier, sous l'influence du mouvement de protestation Occupy, militants anticapitalistes et marginaux ont trouvé là un lieu accueillant, ouvert 7 jours sur 7 et 24 heures sur 24. Le hackerspace s'éloignait de sa fonction d'atelier. Et pour la première fois, Noisebridge a fermé pendant un mois. Depuis la réouverture, la philosophie hacker a repris le dessus. “C'est comme en informatique, un reboot et ça repart !”, conclut Mitch.

La bio de Mitch Altman en quelques dates

1956 - Naît près de Chicago, dans l'Illinois aux Etats-Unis
1975 - Eteint pour toujours son téléviseur
1986 - Déménage dans la baie de San Francisco pour travailler dans la Silicon Valley
1997 - Co-fonde la start-up d'électronique 3 Ware
2004 - Invente la Tv-B-Gone et revend sa société
2008 - Co-fonde le hackerspace Noisebridge à San Francisco

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