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REPORTAGE - Générer de l'électricité grâce à la méthanisation du petit-lait du beaufort, voilà le pari un peu fou relevé par une usine d'Albertville.

De prime abord, difficile de trouver un lien entre une tranche moelleuse de beaufort et la production d'électricité. Pourtant, c'est bien à partir de ce fromage que l'entreprise Savoie Lactée, situé à Albertville en Savoie, ambitionne de produire près de 3 millions de kilowatt-heures cette année. L'équivalent de la consommation électrique d'une ville de 1 500 habitants.

Lorsque l'on pénètre sur le site industriel, pas la moindre meule de fromage. Seule une petite odeur lactée vient chatouiller les narines. Pourquoi ? Car c'est exclusivement le petit-lait, appelé également lactosérum, qui est livré sur le site. Pas de beaufort donc, seulement le résidu obtenu après sa fabrication.

Celui qui détient le pouvoir de changer le petit-lait en électricité officie dans un bureau, perché sur les hauteurs du site. Les yeux rivé sur l'écran de son ordinateur, son portable vissé dans la main, Frédéric Maggioni veille en permanence à la bonne marche des machines et vérifie que les niveaux sont au beau fixe. "L'idéal est que le dispositif ne s'arrête jamais, sinon nous sommes obligés d'arrêter l'usine", confie celui qui est responsable de la méthanisation.

Frédéric Maggioni contrôle la bonne marche des machines du site Savoie Lactée.

Frédéric Maggioni contrôle la bonne marche des machines du site Savoie Lactée. © Clémence Leleu

Du gaz par fermentation

C'est grâce à ce processus, et non au tour de main d'un fromager, que des résidus de beaufort sont transformés en électricité. En deux mots, il s'agit de faire fermenter une matière organique, ici le jus lactosé issus du petit-lait du fromage, pour produire un biogaz qui sera à son tour transformé en électricité.

Le site, qui s'étend sur 800 m2 (une prouesse pour ce genre de structure qui nécessite habituellement une surface de plus de 2000 m2) et qui a coûté 13 millions d'euros, est donc équipé de deux piscines de 600 m3 dans lesquelles est entreposé le jus lactosé.

Les méthaniseurs permettent d'extraire du gaz du lactosérum par le biais de la fermentation aérobie.

Les méthaniseurs permettent d'extraire du gaz du lactosérum par le biais de la fermentation aérobie. © Clémence Leleu

"Il passe ensuite dans deux méthaniseurs où des bactéries vont venir consommer les matières organiques, ce qui aura pour effet de produire du gaz grâce à la fermentation", détaille Frédéric Maggioni, tout en pointant du doigt les deux énormes cuves noires que l'on aperçoit à travers la fenêtre, "quotidiennement Savoie Lactée produit entre 5 000 et 6 000 m3 de gaz", poursuit-il.

Une fois que le gaz est produit, il est envoyé par le biais de gros tuyaux vers le régulateur, une grosse boule blanche, floquée aux couleurs de l'Union des producteurs de Beaufort et de Valbio, société toulousaine qui a développé le site. De là, il est comprimé et part ensuite alimenter un moteur qui entraîne un générateur, qui produira, enfin, de l'électricité.

Le régulateur permet de stocke le gaz avant qu'il ne soit dirigé vers le générateur.

Le régulateur permet de stocke le gaz avant qu'il ne soit dirigé vers le générateur. © Clémence Leleu

Valorisation du territoire

Il est impossible d'affirmer que cette électricité éclaire directement la ville qui a accueilli les Jeux Olympique d'hiver en 1992. "Nous sommes liés contractuellement avec EDF, nous leur revendons l'électricité que nous produisons et ils se chargent ensuite de la distribuer sur le réseau", explique Frédéric Maggioni. Les beauforts pourraient donc très bien faire briller d'autres communes alentours... mais c'est suffisant pour que les Albertvillois puissent se targuer de voir produire sur leur territoire, une énergie qui découle d'un produit local.

Et ce n'est pas tout. En choisissant de créer ce site en plein cœur du pays Beaufortin, l'Union des producteur de Beaufort a également permis de redynamiser le bassin d'emploi. Non seulement Savoie Lactée permet aux 600 producteurs locaux de beaufort de valoriser leur 100 000 litres de petit-lait quotidiens, mais elle se charge également de la transformation de ce sous-produit en beurre, ricotte ou poudre de lactosérum.

 Sur les 110 litres de lait nécessaires à la fabrication de 11 kilos de beaufort, 100 litres de lactosérum sont rejetés.

Sur les 110 litres de lait nécessaires à la fabrication de 11 kilos de beaufort, 100 litres de lactosérum sont rejetés. © Savoie Lactée

Autant d'activités qui ont permis l'embauche de dix employés sur l'intégralité du site. "Avant l'ouverture du site en octobre 2015, la transformation du lactosérum était prise en charge par une autre entreprise située dans l'est de la France. En relocalisant la transformation en Savoie, nous avons non seulement créé de l'emploi mais aussi agit sur l'environnement puisque nous réduisons drastiquement les transports", assure Maxime Mathelin, membre du syndicat de défense du beaufort. Selon ce dernier, les gaz à effet de serre ont ainsi été réduit d'au moins 1 000 tonnes équivalent carbone.

La vente de l'électricité permettra à l'Union des producteurs de Beaufort de rembourser l'emprunt qui a servi à la création du site. Avant d'envisager de reverser une partie des bénéfices aux membres des coopératives regroupées au sein de l'Union, qui pourront déguster leur beaufort à la lumière de leur travail ...