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EDUCATION - De plus en plus de familles font le choix de ne pas scolariser leurs enfants et de faire leur apprentissage à la maison. Pourquoi une telle décision et comment ont-ils fait pour y parvenir ? Débuts de réponses.

Il existe un grand nombre d'idées reçues sur les gens qui ne mettent pas leurs enfants à l'école. Ils seraient irresponsables, anti-système, hors-la-loi même, car beaucoup de gens ignorent que ce n'est pas la scolarisation qui est obligatoire à partir de 6 ans, mais bien l'instruction, nuance de taille.

Sorti en 2016, le film 'Captain Fantastic' a sans doute contribué aussi à donner à cette pratique l'image romanesque et caricaturale d'enfants qui vivent dans la nature, à la fois sauvages et surdoués, capables de réciter Noam Chomsky ou la Constitution américaine tout en dépeçant tranquillement un poulet. Mais la réalité recouvre des cas bien différents, depuis la déscolarisation subie d'un élève jusqu'au choix pédagogique cohérent d'une famille.

Un apprentissage différencié, qui s'adapte à chaque enfant

Accompagnatrice parentale, autrice du blog Une vie slow, et mère de Lucas, 6 ans, Chloé Blin-Maginot précise bien qu'elle n'est pas fondamentalement contre l'école. "Il y a autant d'enfants que de manières d'apprendre, explique-t-elle, mais aujourd'hui, l'éducation nationale ne permet pas une pédagogie différenciée. Je rêve d'une école ouverte sur le monde et qui accompagne chaque être humain, mais dans notre pays, ça n'existe pas encore."

Même son de cloche chez  Marina du blog 3 poussins dans ma maison, 1 école dans mon salon, qui veut respecter le rythme biologique de ses trois enfants, mais aussi leur liberté : "Il existe des tas de possibilités qu'il est malheureusement impossible de mettre en place dans un cadre scolaire. Par exemple, j'ai remarqué que passer par le jeu les aide beaucoup, faire la cuisine permet d'acquérir des bases de mathématiques, jouer dans le sable avec un bâton aide à travailler le geste d'écriture..."

Instruction en famille plutôt que l'école à la maison

C'est donc avant tout pour répondre aux besoins singuliers de leurs enfants que Chloé et Marina ont décidé de les instruire à la maison. Ou plutôt en famille, car les personnes concernées préfèrent parler d'instruction en famille, de "unschooling" ou encore d'apprentissage autonome. "Mon fils Lucas n'est pas enfermé dans une maison, détaille Chloé, malheureusement c'est l'image donné par ce terme inapproprié de l'école à la maison."

Premier enseignement, donc, l'IEF (instruction en famille), n'a rien d'un cloisonnement, au contraire. L'idée n'est pas de recourir à des cours didactiques comme à l'école, mais de suivre les inclinaisons de l'enfant. "Si Lucas veut savoir comment on fait le pain, raconte Chloé, alors nous l'emmenons rencontrer un boulanger. S'il se pose des questions sur l'astronomie, nous allons tous ensemble voir une expo... Il doit avoir accès au vaste monde."

Un tel programme est très contraignant, c'est pourquoi il est nécessaire que les parents s'investissent à fond et en connaissance de cause. Qu'ils se forment eux-mêmes sur les méthodes pédagogiques et se fassent aider, par des proches ou des professionnels. C'est en tout cas le point de vue de Chloé Blin-Maginot : "Mon fils a accès à 5 adultes - dont sa mère, son beau-père et son père, qui sont ressources d'apprentissage pour toute la semaine. Ils vont répondre à ses questions, organiser ses rendez-vous, partager ses activités. On a besoin du collectif pour élever un enfant, d'un “village” bienveillant qui nourrit la relation."

Aménager sa maison pour l'apprentissage de l'enfant

Même si l'enfant ne reste pas exclusivement chez lui, il y passe malgré tout un temps non négligeable. Ce qui signifie que la famille doit s'adapter à ce nouveau mode de vie, qui mêle intimement vie privée et professionnelle. "Pour moi, c'est une philosophie de vie, s'enthousiasme Chloé. On ne fait pas l'école et après on vit ! C'est une autre manière de vivre, on vit avec son enfant au quotidien, il faut s'organiser, s'entourer. Mon fils connaît mes projets pro, mes collaborateurs, l'avancement de nos projets, l'intitulé de nos métiers, ce qui est rare !"

Côté pratique, il faut donc impérativement aménager sa maison pour se mettre dans les meilleures conditions possible. "Avant, on était dans un petit appartement, raconte Chloé, on a été obligé de déménager pour plus grand, avec un jardin pour faire le potager. Comme on est H24 ensemble, il faut de la place." Ce n'est pas tout : dans toutes les pièces de la maison, son fils Lucas a des postes de travail et de création, un bureau, des étagères, du matériel scientifique, de la lecture."On se sert de l'aménagement flexible, ajoute Chloé, il peut autant travailler sur un bureau et une chaise, que simplement sur un pouf ou au sol avec des tapis…"

Un enfant non scolarisé est-il plus isolé ?

Pour beaucoup de gens, retirer de l'école leur enfant revient à les isoler totalement. Le point de vue de Marina est différent : "Pour ma part, je reste persuadée que mes enfants ont bien plus de contact avec d'autres enfants et adultes que les enfants à l'école. Un enfant scolarisé reste en présence des mêmes adultes et des mêmes enfants avec qui il passe ses matinées et ses récréations, alors qu'en IEF, il côtoie une multitude de gens d'âge et de milieu différents."

Un peu plus nuancée, Chloé abonde toutefois dans le même sens : "Je remarque que Lucas n'a pas de relation de masse, mais des relations privilégiées avec des gens de tout âge, et une sociabilisation plus riche que s'il était à l'école avec les mêmes personnes tous les jours." C'est sans doute ici que nous sommes un peu moins convaincus par la démonstration, car un enfant scolarisé peut justement créer du lien durable, là où un enfant non scolarisé rencontre beaucoup de gens, mais de manière éphémère. De même, aller à l'école n'empêche pas un enfant d'avoir des contacts avec des personnes d'âge ou de milieu différent à d'autres moments de sa vie.

Combien ça coûte ?

"On a aménagé notre emploi du temps pro pour que soit valorisées nos compétences et pas le temps qu'on y consacre, précise Nicolas, le mari de Chloé. Nous arrivons à subvenir aux besoins du foyer en un mi-temps de travail. C'est certain que si on était menuisier et qu'on devait passer tant d'heures sur un meuble, ça serait impossible. D'un point de vue matériel, on injecte 100 à 150 euros par mois pour les apprentissages de Lucas, abonnements, essence, activités diverses."

D'un autre côté, la famille économise de l'argent, car elle aurait payé très cher une école dite "alternative" comme Montessori, qui peut coûter plusieurs milliers d'euros par an. De toute façon, pour ces familles, c'est un choix de vie qui n'a pas de prix. "Nous profitons de ce temps qui semble toujours filer trop vite et rien que pour cela je ne regrette pas notre choix", confie Marina, qui sait par ailleurs qu'elle pourra toujours changer d'avis un jour et mettre ses enfants à l'école.

Le principal ? S'informer, se former, et se faire aider par des gens qui se sont lancés avec succès dans cette entreprise compliquée. Chloé prévient : "Quand on subit, qu'on n'est ni informé, ni soutenu dans la démarche, ça peut devenir l'enfer. Il faut intégrer la démarche dans sa vie !"