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SOCIAL - Repas de famille, construction d'une cabane, ouverture des cadeaux de Noël : de plus en plus de parents exposent leur vie de famille sur Instagram. Comment font-ils pour préserver leur cocon ?

On se moque souvent des ados et de leurs selfies intempestifs, mais si on s'intéressait à leurs parents ? Olivier Duris, psychologue clinicien, spécialiste du lien qu'entretiennent enfants et adolescents avec les écrans, nous raconte : “Cela m'arrive de faire des interventions auprès des jeunes. Un jour, un jeune de 7 ans m'a dit qu'il avait un compte Facebook pour vérifier que ses parents ne postent pas de bêtises !

Sur Instagram comme sur Facebook, il est désormais monnaie courante de publier photos de sa vie de famille, de son intérieur, de ses vacances. Pour preuve, selon une étude de la société McAfee publiée en août 2018, 24% des parents publient une photo ou vidéo de leurs enfants au moins une fois par jour sur les réseaux sociaux.

Pourtant, les comptes ne sont pas toujours privés et l'audience du compte Instagram dépasse souvent le cercle familial ou amical. Alors, qu'est-ce qui motive ces parents à montrer ce que l'on cachait autrefois entre les murs de son foyer ?

Rechercher la validation de ses semblables

Le désir de rendre visible ce que l'on peut considérer comme faisant partie de l'intime, c'est ce que le psychiatre français Serge Tisseron appelle “l'extimité”, une situation à cheval entre la sphère privée et la sphère publique. “Avec ce désir d'extimité, on cherche la validation de ses pairs”, précise Olivier Duris.

Autrement dit, à travers un compte Instagram, les parents peuvent rechercher inconsciemment la validation d'autres familles, concernant leur manière de vivre, leur décoration intérieure ou même la tenue de leurs enfants. Un peu comme quand on poste la photo du dernier concert auquel on a assisté, ou de son dernier plat cuisiné avec succès (oui, on le fait tous…) !

Une fenêtre sur le quotidien qui est souvent bien éloignée de la réalité. “Quand on partage ces photos, tout est toujours ultra-positif : la maison est toute propre, l'enfant trop mignon. Mais l'audience oublie que tout est transformé pour paraître bien à l'image”, complète Olivier Duris. Une mise en scène qui peut occasionner de la culpabilité voire même de la honte pour celles et ceux dont la vie ne ressemble pas à Instagram !

Un point de vue partagé par le psychologue et psychanalyste Michael Stora, également membre de l'Observatoire des Mondes Numériques en Sciences Humaines (OMNSH) : “Un enfant c'est tout sauf sage comme une image. L'instantané sur un réseau social vient récompenser le parent dans l'effort qu'il doit donner au quotidien.” À travers cette image de perfection, les parents peuvent chercher à se rassurer sur leur rôle, sur le fait qu'ils sont de bons parents.

Utiliser Instagram pour faire passer un message

Mais il existe aussi des comptes où les parents cherchent à partager un message et contribuent à faire changer les mentalités.

C'est le cas du compte Instagram Ma vie de papa gay fondé par Pierre et suivi par plus de 28 000 personnes. “J'y parle de ma vie de famille homoparentale, j'essaie de montrer aux gens qu'on a beau être une famille avec deux papas, on est comme tout le monde, on a les mêmes envies”, nous a-t-il raconté par téléphone.

Persuadé que l'acceptation passe par la visibilité, Pierre avec son mari n'hésitent pas à poster des photos de leurs deux jumelles et du petit dernier autour du sapin de Noël, en train de préparer à manger ou même de toute la famille dans le jardin. À un petit détail près : floutés, de dos, ou bien recouverts par un emoji, on ne voit jamais le visage des trois enfants.

Protéger les enfants et respecter le droit à l'image

C'est en effet la question que l'on oublie bien souvent de se poser : l'enfant, lui demande-t-on son avis ? A-t-il envie que l'on expose, sans le consulter, la cabane qu'il a construite ou le bazar qu'il a mis dans sa chambre ? Les deux psychologues sont formels : la question du droit à l'image est primordiale.

Je protège la vie privée de mes enfants. Je n'aimais pas quand, ado, mes parents montraient des photos de moi à leurs amis. Imaginez aujourd'hui l'effet avec des inconnus !”, précise Pierre.

Par peur que sa “famille atypique” soit instrumentalisée par des personnes malveillantes et homophobes mais aussi pour préserver leur “cocon”, le jeune papa veille à “mettre une distance entre le réel et le virtuel”, explique-t-il.

Pour cela, il ne suffit pas seulement de masquer le visage de ses trois enfants. Pierre a plusieurs techniques pour protéger la vie privée de sa famille. Jamais vous ne lirez le prénom de ses enfants sur son compte Instagram : un moyen d'empêcher les inconnus qui le suivent et lui envoient des messages de lui parler “comme si on était de la même famille”, précise-t-il.

Même chose pour la localisation. “Lorsque l'on me demande où j'habite, je dis que nous vivons dans le Loiret, sans préciser le nom de la ville”, souligne-t-il. Pour éviter que l'on identifie leur adresse, Pierre fait attention de ne pas prendre de photos de l'extérieur de leur maison ou de rester prudent lorsqu'il fait des stories dans sa rue.  

Le risque zéro n'existe pas, si les gens veulent me faire peur dans la rue, ils peuvent le faire”, relativise Pierre. Pour celles et ceux qui souhaitent se la jouer un peu plus “old school”, le plus simple est de suivre le conseil d'Olivier Duris : faites-vous un album photos !

Dernière chose : n'oublions pas que certains posts peuvent être sponsorisés ou réalisés en partenariat avec des marques et génèrent alors une rémunération. Attention à ne pas transformer un loisir en travail dissimulé !