| | | |

ENTRETIEN - Vanlifers ou tiny houses, être nomade aujourd'hui est devenu tendance explique Maxime Brousse dans son ouvrage Les Nouveaux Nomades.

Ils vivent dans des vans aménagés, à bord de vieux bus rénovés ou même dans des tiny houses. Mais qui sont celles et ceux qui ont fait le choix de quitter un mode de vie sédentaire pour vivre une vie de nomade ? 

C'est la question à laquelle Maxime Brousse, journaliste et auteur du livre Les Nouveaux Nomades, toujours ailleurs partout chez eux (Ed. Arkhê, 2020), a voulu répondre. À partir de mai 2019, il est parti à la rencontre de personnes qui ont adopté un style de vie mobile, des individus dont le quotidien se situe entre “la start-up nation et les ZAD”, comme il l'écrit dans son ouvrage. 

Après quoi courent les nomades du 21ème siècle ? Nous lui avons posé la question. 

© Arkhê Editions

18h39 : Première question : être nomade aujourd'hui, qu'est-ce que cela veut dire ? 

Maxime Brousse : C'est un terme qu'on utilise beaucoup mais à la base ça décrit des bergers qui changent de pâturage, mais aujourd'hui cela désigne une personne qui a un mode de vie itinérant. Ce qui caractérise les nomades c'est qu'ils forment des groupes sociaux, ce ne sont pas des vagabonds qui traversent seuls la France en sac à dos. Ce sont vraiment des sociétés, des gens qui ont leur propre système de culture, de croyance, leur propre mythe. Eux ce sont les nomades traditionnels. Ceux que je décris comme “nouveaux nomades”, ils ne correspondent qu'à moitié à cette définition car ils ont le même système de croyance que les sédentaires. J'ai choisi de les appeler nomades car je trouve qu'ils commencent à former des sociétés qui sont différentes des nôtres. 

Et pourtant cette culture du nomadisme est partout : dans les livres, les publicités, les films. Pourquoi rêvons-nous tous de nomadisme ? 

On est une espèce qui a toujours été nomade, nous sommes la seule qui ait colonisé la planète aussi vite. Et aujourd'hui, le nomadisme est à la portée de beaucoup plus de gens, et ce pour deux raisons. Financièrement d'abord parce qu'on peut se déplacer pour moins cher qu'avant. Puis avec Internet, on va être exposé à ce mode de vie et ça fait qu'on se rend compte qu'il est accessible, qu'on peut sauter le pas. Il y a 20 ans, ça n'aurait pas été possible. Désormais, on voit sur Instagram que des gens comme nous le font. Ça fait germer cette idée dans la tête de beaucoup. 

Vous expliquez qu'il y a trois types de nouveaux nomades : les vanlifers, celles et ceux qui vivent dans les tiny houses et les digital nomades. Qu'est-ce qui rassemblent et différencient ces trois communautés de nouveaux nomades ?

Les trois catégories auxquelles je me suis intéressé sont assez homogènes : ce sont des des blancs entre 28 et 38 ans, en couple beaucoup et hétérosexuels. En revanche, ils ne viennent pas tous de la même classe sociale. Il y a des gens qui sont nés dans des familles monoparentales avec une mère qui faisait des ménages et d'autres sont des fils de grands industriels. Mais ils partagent tous le même avis sur la société sédentaire. Ils la voient comme quelque chose de sclérosé, qui ne peut pas leur apporter de bonheur, dans laquelle ils ne s'imaginent pas se réaliser. Ils partagent le même constat : les inégalités augmentent, il est de plus en plus difficile de se loger, l'idée de carrière est mise à mal.

Mais ils l'interprètent différemment. Les “tinistes” ont cette envie de cocon, être chez eux et pas forcément de voyager très loin, ils explorent les alentours. Chez les vanlifers, il y a ce côté exploration qui est peut être plus romantique, où l'on parcourt le monde, la route, je suis partout chez moi. Et chez les digital nomade, c'est comme si leur pays d'origine ne les laissaient pas entreprendre assez vite avec une envie d'aller voir ailleurs constante. 

Ils sont à la recherche d'un monde qui leur convienne. Quelle est leur vision du monde ?

Elle est assez variable. Tous ceux à qui j'ai posé la question insistent sur le fait que la démarche n'est pas politisée, ils font ça avant tout pour eux. Pas sûr qu'ils portent une vision du monde ! Ils ne sont pas décroissants ou anti capitalistes, c'est plutôt la surconsommation permanente qui les étouffe. 

Qu'est ce qui les a poussés à changer de vie ? Il y a un déclic commun ? 

Souvent c'est un cheminement qui est un peu long. Pour certains, on se rend compte au début qu'il y a un genre de burn out, une vraie difficulté de vie qui fait penser qu'on doit couper avec la vie d'avant car on s'épuise. Sinon, je trouve que chez les trois types de nomades, il y a une forme d'hédonisme angoissé : il faut profiter de l'instant présent car on ne sait pas de quoi demain sera fait. On a tellement peur de ne pas pouvoir profiter quand on sera vieux, que l'on préfère profiter maintenant. Mais je n'ai rencontré personne qui est parti sur un coup de tête du genre, on a des sous à la banque, on achète un van et c'est parti. 

Souvent se posent la question des revenus : de quoi vivent-ils concrètement ? 

On retrouve beaucoup de situations différentes. Il y a un couple belge qui voyage avec ses enfants : ils mettent de l'argent de côté et quand ils en ont assez, ils partent. La plupart des gens que j'ai interrogés sont free-lance, travaillent sur le ordinateur. Certains sont développeurs, journalistes, font de la traduction. Mais ils ont réduit leur train de vie en devenant nomade. Et il y a ceux qui ont fait du nomadisme leur boulot comme Pierre qui a transformé un bus en école de surf. Il a intégré le mouvement à son projet professionnel. 

Malgré l'investissement de base qui peut être élevé, l'idée de construire son habitat soi-même reste très présent chez les nouveaux nomades. Pourquoi ? 

Il y a cette idée de se réapproprier son quotidien et savoir comment les choses marchent. C'est pour ça que c'est un temps long et réfléchi, les gens se projettent, mais n'ont pas forcément de connaissance en bricolage. Le but est d'apprendre de nouvelles choses et trouver des gens qui peuvent nous aider à les mettre en oeuvre. Souvent une tiny house qu'on fait soi même coûte 30 000 euros, donc quelques années de loyer. Les gens le voient comme ça, ils ne sont pas insouciants, ils savent que c'est un investissement mais à la fin ils ont quelque chose qui leur appartient. 

Les Nouveaux Nomades n'ont rien à voir avec l'image qu'on se fait des hippies. Leurs habitations sont confortables, ils y apportent du soin. Ils ont envie de vivre libres mais ne sont pas prêts à renier leur confort ? 

Les intérieurs sont très mignons, proprets et bien entretenus. Quand j'écrivais mon livre, je me disais que c'était vachement plus beau que chez moi ! Tout est minutieusement pensé. Il y a un vrai intérêt pour le confort, à quoi ressemble l'endroit où l'on vit. Mais Il y en a quand même pas mal qui se passent de confort. Comme ce couple qui se passe de toilettes et de douche. Il y a un autre couple de vanlifers qui n'a pas de toilettes car ils se sont trompés sur les plans donc ils se sont dits, “tant pis on fonctionnera sans !”. C'est un vrai renoncement au confort ! Mais l'esthétique est très présente, on reproduit celui qu'on voit sur les réseaux sociaux avec de beaux plans de travail en bois massif, de beaux carreaux en ciment. 

Car le nomadisme c'est une tendance, c'est dans l'air du temps. Le hashtag “vanlife” est très populaire sur Instagram. Faire des likes et obtenir de la notoriété c'est quelque chose qui les intéresse ?

J'ai demandé à ceux que j'ai rencontrés : est ce que le fait de devoir poster des photos pour animer sa communauté, c'est une contrainte et à quel moment ça le devient ? À tous les gens à qui j'ai posé la question, ils m'ont répondu que pas du tout, ils adoraient ça. Très naïvement, ça m'a surpris. Pendant que le garçon conduit, la fille choisit la photo et la poste. Mais je n'ai pas interviewé des gens qui ont des comptes énormes. Ils acceptent plutôt des partenariats comme un forfait de ski gratuit ou une balade pour voir les baleines ou du matériel. Mais ils ne font pas la pub d'un matelas de yoga ou d'une gourde !