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TENDANCE - Cette philosophie, issue de la cérémonie du thé, met à l'honneur les objets doux et imparfaits. Découvrez les conseils des maîtres du Wabi-sabi.

Lubie des décoristas ou vraie mode de vie à adopter ? Le Wabi-sabi fait de plus en plus parler de lui, sur les réseaux sociaux ou dans les magazines.

Zen japonais, déco abrupte, vaisselle cassée… Le rendu est rustique, mais il parait qu'on se sent bien (voire mieux!) dans un logement revisité dans ce style. On vous décrypte le phénomène.

Le Wabi-sabi, manifestation de la vision japonaise du monde

Si vous leur demandez ce qu'est le Wabi-sabi, la plupart des Japonais secoueront la tête. “C'est une notion difficile à expliquer, bien que tous soient prêts à affirmer qu'ils comprennent le sentiment associé au Wabi-sabi, ils sont très peu capables de le formuler”, explique Leonard Koren, expert en esthétique, dans son ouvrage Wabi-sabi, à l'usage des artistes, designers, poètes et philosophes (éditions Sully, 2015).

Réduit en une simple tendance déco par certains, le Wabi-sabi est en réalité, plus qu'un concept. Il s'agit d'un réel mode de vie, de pensée.

C'est un sentiment pur. Je l'appellerais "harmonie". Quand vous aimez les imperfections et adorez tout ce qui est naturel, quand vous êtes en paix avec ce que vous ressentez et ce qui vous entoure, quand rien n'encombre votre cœur, votre esprit et votre maison. C'est cela pour moi le Wabi-sabi”, nous répond l'architecte ukrainien Sergey Makhno, qui a fait sienne cette éthique.

© Sergey Makhno architects

Le Wabi-sabi est une manifestation de la vision japonaise du monde : vivre une vie simple, accepter l'impermanence, l'imperfection de soi-même et du monde, et aimer tout ce qui l'entoure. Certains critiques japonais sont d'ailleurs d'avis qu'il faille entretenir son caractère mystérieux et imprécis, car l'ineffabilité fait partie de sa spécificité. Il n'est pas sans rappeler le Lagom ou le Hygge, philosophies du Grand Nord.

Il occupe la même place dans le Panthéon des valeurs esthétiques japonaises que les idéaux grecs de beauté et de perfection en Occident”, précise Leonard Koren dans ses travaux.

© Sergey Makhno architects

Cet état d'esprit est apparu au XVème siècle, en contraste avec les cérémonies du thé de luxe, devenues passe-temps de l'élite. Simplicité et naturel avaient laissé en grande partie place à la luxure et l'exposition d'objets élégants et prestigieux importés de l'étranger, notamment de Chine, recelant de trésors lisses et parfaits.

En opposition avec cette mode, le premier maître de thé Wabi-sabi, le moine zen Murata Shuko, utilisa délibérément chaque fois que possible des ustensiles confectionnés localement et sous-estimés. Ce fut le début de l'esthétique Wabi-sabi dans le thé, perpétué par d'autres maîtres, comme Sen no Rikyu, qui le poussa à son zénith au XVIème siècle.

Depuis, le Wabi-sabi s'est étendu, jusqu'à représenter aujourd'hui cette simplicité de vie bien caractéristique de la culture japonaise.

Comment le Wabi-sabi se reflète dans le design et l'architecture

Une fois que vous avez adopté l'état d'esprit, il vous reste à concevoir votre environnement en conséquence. “Le Wabi-sabi désigne des choses cachées et éphémères, subtiles et disparaissantes”, nous explique l'architecte Sergey Makhno.

Wabi-sabi signifie que les choses ont leur histoire”, précise l'architecte. “Vous allez vite vous apercevoir que la symétrie avec des bords parfaitement lisses et artificiels est privée de respiration, qu'elles ne vous rendent pas bien.

Le mot français le plus proche de Wabi-sabi est probablement “rustique” : “Bien que ce mot ne donne qu'une idée limitée de l'esthétique du Wabi-sabi, il correspond à l'impression que bien des gens éprouvent la première fois qu'ils en voient une manifestation”, décrypte Leonard Koren.

Après avoir passé un certain temps dans un intérieur Wabi-sabi, vous commencez à remarquer des surfaces légèrement rouillées, des couleurs un peu fanées et des objets fissurés, vous apprécierez passer vos doigts sur des surfaces d'apparence rugueuse ou irrégulière. Vous vous sentez bien ?

La grandeur du Wabi-sabi réside dans les détails discrets et trop souvent négligés, en ignorant toute hiérarchie entre les matériaux. Il permet également d'accepter ce que l'on considère habituellement comme laid.

Donner un souffle Wabi-sabi à son intérieur

Concrètement, il n'y a pas de “recette miracle” pour adopter un mode de vie Wabi-sabi.

Si l'on résume les conseils de l'architecte Sergey Makhno, intéressez-vous à la méditation, faites la paix autour de vous, rapprochez-vous de la nature.

Pour décorer votre intérieur, il n'y a pas non plus règles à respecter. C'est en fonction de ce que vous fait ressentir chaque objet, chaque matière, que vous pourrez vous entourer des petits détails qui vous apaiseront.

Voici quelques pistes :

  • Choisissez des objets aux bords doux, imparfaits.

Ils pourront être d'occasion, abîmés, dépareillés, grossiers. Les ébréchures, écornures, bosses, rayures et autres marques d'usure sont le témoignage de leur usage et mésusage.

  • Préférez des matières naturelles, qui s'embellissent au fil des années.

Le bois, l'argile, la pierre deviennent encore plus séduisants sous le poids du temps.

  • Désencombrez votre intérieur.

Séparez-vous de tout objet superflu. Néanmoins, gardez en tête que la fonction et l'utilité n'ont pas grande importance. Trouvez votre propre équilibre.

  • Favorisez une ambiance douce et sereine.

Seuls les espaces faiblement éclairés accentuent la richesse des textures et la délicatesse de l'atmosphère. Si vous n'avez pas beaucoup d'espace, c'est encore mieux pour créer des endroits confinés.

  • Optez pour des couleurs silencieuses et chaudes.

L'espace peut rayonner le calme universel lorsqu'il est peint de façon appropriée. Couleurs naturelles du miel, du lait, du ciel matinal, de la brume, des feuilles fanées se marient avec des nuances plus sombres du gris, du brun ou même du noir.

  • Laissez la nature reprendre ses droits.

Les matières naturelles se gonflent, craquent, vieillissent, les métaux rouillent, et c'est tant mieux. Laissez vos plantes s'épanouir à l'intérieur, recouvrir vos murs à l'extérieur. La mousse et les mauvaises herbes donneront un charme fou à votre demeure.

Ne vous mettez pas la pression

On ne peut pas décréter du jour au lendemain que notre mode de vie sera dorénavant Wabi-sabi. Cela prend du temps. Mais peut-être que, déjà, sans vous en rendre compte, vous tendez vers cette sagesse japonaise.

L'architecte Sergey Makhno conclut : Le Wabi-sabi est quelque chose que j'ai toujours cherché à vivre. J'ai organisé ma vie de telle sorte que je me sente bien, en harmonie, comme par instinct. Je ne connaissais pas le bon mot, Wabi-sabi, mais pourtant, sans m'en rendre compte, je le vivais déjà. Ce style, cette philosophie, est plus qu'une dévotion pour moi. C'est la façon dont je vis.”