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REPORTAGE - Entre mythe et réalité, les concierges continuent d'exercer un rôle primordial dans nos habitats. Rencontre avec deux concierges parisiens : Lourdes Fernandes et Pascal Legrout.

Dans le film Le Hérisson adapté du roman de Muriel Barbery, L'Elégance du hérisson (Gallimard, 2006), Renée est une concierge de 54 ans qui vit au 7, rue de Grenelle dans le 15e arrondissement de Paris. Elle se définit comme : "petite, vieille, laide, grassouillette" avec "des oignons aux pieds" et "une haleine de mammouth au réveil." Mais sous ses airs de caricature de concierge acariâtre se cache en réalité une intellectuelle autodidacte, raffinée, lettrée et philosophe.

Gardienne d'immeuble dans le 17e arrondissement de Paris, Lourdes Fernandes est elle aussi une concierge de 54 ans. Elle connaît d'ailleurs bien ce livre, qui figure dans sa petite bibliothèque, sauf que, contrairement à Renée, Lourdes ne cache pas son jeu, au contraire, elle étale au grand jour sa joie de vivre : "J'aime le contact avec les gens. C'est vraiment un métier qui me plaît."

Elle se méfie du cliché de la gardienne d'immeuble intrusive et bavarde, source de tous les potins du quartier : "Il ne faut pas dénigrer le métier de gardien, défend-t-elle. Le gardien n'est pas une petite chose, il vit mille et une choses en une journée. Si des gens un peu ignorants prennent la peine de passer une heure en tête à tête avec un gardien, ils changeront leur regard sur ce métier."

"Loulou" Fernandes : l'ange gardien

Lourdes Fernandes dans sa loge du 26 rue Gauthey dans le 17e arrondissement de Paris. Une loge qu'elle occupe depuis 27 ans.

Comme beaucoup d'enfants de l'immigration portugaise de la période 1960-1970, Lourdes arrive en France à l'âge de 15 ans. Elle est alors hébergée chez un couple de gardiens portugais. C'est là qu'elle s'initie pour la première fois au métier de concierge. "Je sortais la poubelle, livrais le courrier, faisais le ménage. J'étais la bonne de la maison", raconte-t-elle.
Une dizaine d'années plus tard, devenue jeune maman, elle est à la recherche d'un emploi.

C'est tout naturellement qu'elle se tourne vers le métier de concierge qu'elle connaît déjà : "Je voulais une loge pour élever mes deux enfants et approfondir ce boulot que j'avais commencé adolescente", explique t-elle assise sur sa chaise. Surnommé "Loulou" par les habitants de son immeuble, qu'elle considère comme sa "famille de coeur" et qui lui offrent des cadeaux sans cesse, Lourdes est une concierge reconnue par sa profession. Elle se voit décerner le diplôme "d'Ange gardien" à deux reprises en 2012 et 2019. En 2018, elle remporte le diplôme du Grand Prix des Voisins.

Le diplôme "d'Ange gardien" de Lourdes Fernandes remis en 2012. © Kevin Sonsa-Kini
Le diplôme "d'Ange gardien" de Lourdes Fernandes remis en 2019. © Kevin Sonsa-Kini

Gérer les poubelles, distribuer le courrier, nettoyer les parties communes... les missions de Lourdes sont celles qu'occupaient déjà les concierges au XIXe siècle, lorsque la profession a fait son apparition. Comme Lourdes, ceux que l'on appelait auparavant les portiers ne géraient qu'un seul immeuble. Peu à peu, la profession se féminise également, comme le notent les sociologues Jean-Marc Stébé et Gérald Bronner.

Dans leur article Figures et métamorphoses des concierges (2000), ils constatent qu'à partir de la seconde moitié du XIXe siècle“les femmes vont progressivement dominer ce secteur d'activité, parce qu'elles représentent une main-d'oeuvre peu qualifiée et donc peu chère.” Plus tard au XXe siècle, la profession évolue. Selon les auteurs, il y a aujourd'hui “59 % d'hommes chez les gardiens d'immeuble.” Au fil des ans, on passe même d'un seul immeuble à plus de 100 logements à gérer pour certains gardiens, qui sont aidés par du personnel de service. 

Pascal Legrout, le gardien du XXe siècle

Toujours dans le 17e arrondissement, mais cette fois dans le quartier de Ternes, Pascal Legrout, 53 ans, gardien d'immeuble chez Paris Habitat, occupe un bureau non loin de son domicile, seule une cour les sépare. “Je ne suis pas stressé avec les transports. D'ailleurs, quand j'ai une urgence, je me déplace à trottinette”, exprime-t-il en souriant. Contrairement à certains concierges qui habitent leur loge, Pascal incarne donc cette modernisation du métier qui veut qu'on possède son propre bureau. Comme nous l'expliquent Stébé et Bronner :“ce bureau ne communique pas avec le logement de fonction” et cela “constitue un signe fort de la séparation entre vie professionnelle et vie privée et de l'évolution de cette profession.” 

Les auteurs décrivent également le gardien du XXe siècle comme un “personnage peu revendicatif” qui “se sent très bien dans son travail.” Le principal concerné peut le confirmer : “Je prends ce métier de gardien très à coeur. Je n'ai pas envie d'en changer, je vais faire ce métier jusqu'à ma retraite.” Dissocier la vie professionnelle et la vie privée, telle est la priorité de Pascal Legrout. En effet, il ne tutoie jamais les locataires et ne boit jamais un verre avec eux. “Si vous avez trop de familiarité avec les locataires, vous n'êtes pas pris au sérieux”, affirme-t-il. 

Pascal Legrout, gardien d'immeuble chez Paris Habitat dans son bureau du 17e arrondissement de Paris. © Kevin Sonsa-Kini

Dans son bureau, composé de plantes et d'un tableau montrant un arbre sous le soleil, se trouvent deux diplômes chers à son coeur: celui de “l'Ange Gardien” remis par la Mairie du 17e arrondissement et celui de “Gardien de la ville” décerné par la Maire de Paris, Anne Hidalgo. Et ce n'est pas tout, car Pascal s'est également vu décerner la Médaille d'honneur du travail. Une grande fierté pour ce gardien qui a quitté l'école à 17 ans et qui gère 135 logements pour Paris Habitat. “C'est l'équivalent d'un niveau Bac +5 pour moi”, dit-il en montrant ces récompenses. 

La médaille d'honneur du travail remise à Pascal Legrout en 2019. © Kevin Sonsa-Kini

Vers une disparition des gardiens-concierges en France ?

Depuis les années 90, une inquiétude grandit cependant : les concierges vont-ils disparaître au profit des interphones ou, au mieux, d'agents de sécurité ? Leur diminution d'année en année a fait les titres d'articles de presse. Dès 1995 par exemple, Libération s'inquiète : Il y a de moins en moins de concierges dans l'escalier”. A l'époque, on compte 60 000 concierges à Paris et en région parisienne contre 70 000 en 1984. Plus tard en 2010, Le Monde titre : “Les concierges s'effacent au profit des gardiens”

Cette progressive disparition angoisse-t-elle nos deux interlocuteurs ? Sont-ils préparés à une retraite imposée ? “C'est important pour les locataires de savoir qu'il y a une personne en bas de chez eux à qui ils peuvent demander des renseignements, défend Pascal Legrout. En tant que gardien, on est là aussi pour communiquer. Le gardien qui n'aime pas la communication doit changer de métier”, plaide-t-il. Lourdes, elle, se montre plus insistante sur la figure du gardien dans l'immeuble parisien. “Je suis la seule gardienne de cette rue. Une gardienne, c'est l'âme de l'immeuble. Sans gardien, il n'y a pas d'humain.”