|

VOISINS - Hélène L'Heuillet, psychanalyste et spécialiste des relations de voisinage, répond à cette question que l'on s'est tous posée, une fois les cartons déballés.

Dans un monde idéal à la Desperate Housewives, il est incontournable d'aller rencontrer vos nouveaux voisins, cookies sous le bras. Mais dans la réalité, nous sommes bien peu à prendre l'initiative d'aller toquer chez celui d'à côté pour se présenter. C'est grave docteur ?

Hélène L'Heuillet, maître de conférence en philosophie, psychanalyste et autrice de l'ouvrage Du voisinage : réflexions sur la coexistence humaine (Ed. Albin Michel, 2016) à répondu à cette question qui nous turlupine une fois les derniers cartons déballés : Faut-il se présenter à ses nouveaux voisins ?

18h39 : Pensez-vous qu'aller se présenter à ses voisins est une bonne idée ?
Hélène L'Heuillet : On ne peut pas prévoir à l'avance qui seront nos voisins. Et ça c'est tout l'intérêt du voisinage. Parce qu'on peut essayer de choisir ses voisins, on ne choisira pas leurs personnalités. C'est pour cette raison que je suis contre de nouvelles normes, comme celle qui nous oblige à participer à la Fête des voisins. Cette fête est formidable, mais s'il y a un voisin qui n'a pas envie d'y participer, il ne faut pas que cet événement soit l'occasion de lui faire la tronche et de lui dire que c'est un mauvais voisin. On a le droit d'être soi-même, timide, un peu sur la réserve ou au contraire très exubérant.

Je pense que chacun doit d'abord faire comme il le sent. Le voisinage, c'est le lieu où les chez-soi se rencontrent, se touchent. Et le chez-soi pour chacun d'entre nous, c'est le lieu où l'on doit pouvoir baisser les bras, se soucier un peu moins de l'apparence, relâcher la pression. Si le voisinage impose de nouvelles normes, au bout d'un moment, tout le monde voudra vivre une île déserte. 

Pourtant, on pourrait penser que connaître ses voisins permet de mieux les supporter...
Si l'on impose trop de nouvelles normes, la promiscuité va devenir insupportable. Personne n'a envie de passer du temps avec des inconnus. Il ne faut pas pas que ça oblige chacun à aller sonner chez les voisins pour aller payer l'apéro. Et puis l'intimité en prend aussi un coup, car ces nouveaux rites peuvent aboutir à des sortes d'intrusions illégitimes dans son chez-soi.

En fait, quand on arrive dans un nouvel environnement, c'est comme quand on est en voyage. Peut-être que le jour où l'on croise un nouveau voisin, on en profite pour se présenter. On n'entre pas dans une démarche, mais on dit bonjour, on fait un peu attention, on ne force pas les choses.

Alors quelle est la démarche à adopter si on ne veut pas passer pour un casanier sans pour autant forcer la main ?
Le voisinage, c'est une question de temps. Il ne faut pas se presser. Dans les nouvelles normes, on veut absolument aller très vite alors que justement, les voisins sont des gens que l'on apprend à connaître. Tout le monde n'a pas les mêmes horaires, pas la même façon de vivre. Un bon voisinage, c'est un lieu de tolérance.

D'ailleurs, on ne dit pas "mon voisin" simplement parce qu'on partage le même immeuble, mais plutôt à partir du moment où on a pris un peu de temps pour se connaître vraiment. Quand on réside dans une location de vacances, on ne parle pas de nos "voisins”. Ce sont des gens que l'on croise, et qu'on ne reverra jamais.

Dans votre livre, vous soulignez l'importance de saluer ses voisins comme un signe de respect.
Saluer est un geste magnifique. C'est vraiment quelque chose de très important parce que ça ne force pas le passage. On y va doucement, on dit bonjour, à partir de là quelque chose peut être rendu possible parce que ce qu'il y a d'extraordinaire dans les salutations, c'est que c'est irréversible. À partir du moment où quelqu'un dit bonjour, on n'imagine pas qu'il change d'avis la fois d'après. Ça ne peut aller qu'en approfondissant le lien. Alors que si on fait un apéro, ça peut être aussi le prétexte pour rester planquer pendant six mois.

Les salutations ne sont pas intrusives, mais ce sont vraiment des rites de voisinage, une forme de respect. Et parce qu'on s'est dit bonjour, quelque chose peut venir après : se rendre un service, s'aider quand on a des ennui… Idem avec les rites dans l'ascenseur, même si c'est échanger trois banalités, ça crée de bonnes relations de voisinage.

Souvent, on rencontre ses voisins suite à un problème et on a une mauvaise image d'eux.
Je pense qu'il faut aussi prendre sur soi. C'est toujours tentant de reporter la faute sur l'autre. Mais un problème, ça peut être aussi l'occasion d'une bonne rencontre. On a un dégât des eaux, on fait les constats d'assurance et on peut s'inviter à boire un verre après par exemple, pour faire preuve de convivialité. Ça n'est pas intrusif, car on est obligé de se parler, de visiter nos cuisines ou salles de bains respectives.

Aujourd'hui, tout le monde doit se sentir concerné par ça, particulièrement en France. Dès qu'il y a un problème, y compris quand on est responsable, ça tourne à l'agressivité. Je suis formelle sur ce point, c'est l'un des symptômes actuels de la société française. Les relations de voisinage ne changeront pas si l'on considère que chaque problème est l'occasion d'un conflit violent.

Bien sûr que c'est contraignant d'avoir un camion de déménagement qui bloque le passage, d'avoir une fuite d'eau ou un voisin trop bruyant. Dans ce cas, il faut faire preuve de tolérance, car la situation peut aussi vous arriver ! Par expérience, et je crois que ça rejoint celle de beaucoup de gens, ce genre d'inconvénients, ceux de la vie sociale, ne disparaîtront jamais. Alors autant essayer de les transformer en une bonne rencontre. 

En résumé, quelle est la bonne démarche à adopter vis-à-vis des voisins quand on vient d'emménager ?
On peut se présenter à ses voisins si on en a envie, mais ça n'est pas une obligation. Par contre, on les salue quand on les voit et on peut pousser un peu la conversation. Et puis on apprend tranquillement à se connaître, sans forcer quiconque, car on est chez soi. Chez soi, c'est le lieu où toutes ces pressions sociales peuvent s'aplanir.

Avec les voisins, on est dans cet entre-deux qui permet d'inventer une nouvelle façon d'exister. Il faut prendre le temps, un peu comme une rencontre amoureuse ou une visite en pays étranger, bref toutes ces expériences de la vie où l'on rencontre de l'altérité. On doit être précautionneux, ouvert mais pas intrusif, sans se sentir obligé de forcer son propre caractère.

Et pour continuer la réflexion, Hélène L'Heuillet a aussi répondu à la question : Faut-il être ami avec ses voisins ?