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URBANISME - Elles ont fait couler beaucoup d'encre quand l'opération a été lancée en 2018. Deux ans après, verdict : les maisons à un euro sont-elles une arnaque ou un bon plan ?

"Je n'ai pas payé la maison avec une pièce d'un euro comme certains le croient", nous confie Aminthe, l'une des heureuses participantes de cette opération très médiatisée à Roubaix. En effet, quand elle a signé son contrat, elle a dû également payer des frais de notaire, et puis surtout contracter un prêt pour réaliser des travaux coûteux. Alors, mensonger, le slogan de la "maison à un euro" ?

Le maire de la ville, Guillaume Delbar, s'empresse de nous corriger : "Nous avons bien précisé que c'était une maison à un euro AVEC travaux ! J'ai eu droit à des choses assez farfelues, même des Brésiliens qui me proposaient d'en acheter cinq ou six, ils n'avaient pas bien saisi qu'il fallait y habiter et surtout réaliser la rénovation." Pas une mince affaire d'ailleurs, si l'on en croit le parcours d'Aminthe, que nous avons rencontrée lors de notre enquête sur place.

Le quartier du Pile, où vit Aminthe, propriétaire d'une "maison à un euro". © Emmanuel Chirache
La maison avant les travaux, vue du jardin.

130 000 euros de travaux, mais 60 000 euros d'aides

Des maisons ouvrières comme celle d'Aminthe, hautes sur deux étages, plutôt étroites, fabriquées en briques rouges, il en existe des milliers à Roubaix. Rien que dans le quartier du Pile où se trouve celle de la jeune propriétaire, institutrice en Belgique, quasiment toutes les rues sont constituées de ce type d'habitat. Alors quand la mairie annonce vendre dix-sept maisons à un euro pour rénover et entretenir ce patrimoine à travers la ville, on comprend bien qu'il s'agit davantage d'une expérience sociale et urbaine que d'un véritable plan d'action contre le logement insalubre.

Sur les dix-sept maisons mises en vente à un euro, une dizaine a trouvé chaussure à son pied. Parmi elles, l'histoire d'Aminthe ressemble à un joli conte : vivant seule avec sa fille, l'institutrice cherchait plus d'espace pour plus de confort. Après des mois à envoyer des dossiers aux banques, elle finit par trouver un prêt de 70 000 euros et environ 60 000 euros d'aide de l'Anah (Agence national de l'habitat). En tout, la rénovation de maison ouvrière aura donc coûté à peu près 130 000 euros.

L'avantage de passer par la mairie et la Fabrique des quartiers, la structure qui a lancé l'opération ? Un architecte vous accompagne et vous guide durant tous les travaux. C'est lui par exemple qui va déconseiller à Aminthe de mettre son salon côté rue et sa cuisine côté jardin, "il avait raison !" confie-t-elle d'ailleurs avec du recul. C'est aussi lui qui suggère de combler l'espace sous l'escalier par une grande cloison en bois qui abrite des rangements.

Les artisans installent la cloison et les rangements sous l'escalier © Emmanuel Chirache
Une table basse faite maison avec des palettes ! © Emmanuel Chirache
Un bâtiment de logements sociaux. Avec 44% des habitants vivant sous le seuil de pauvreté, Roubaix est aussi l'une des villes les plus pauvres de France. © Emmanuel Chirache

Le quartier du Pile, beaucoup de potentiel et une réhabilitation en cours

En famille, Aminthe a réalisé une partie de la démolition et quelques finitions : la déco, le carrelage, le parquet des étages, la peinture, l'enduit des murs, le ponçage... Bref, elle a pu façonner la maison à son image et profite totalement de son nouveau chez soi avec sa fille.

La réhabilitation du quartier du Pile, assez proche du centre ville, n'en est qu'à ses débuts. Les résultats de l'opération sont plutôt encourageants et d'autres maisons à un euro verront peut-être le jour, même si la mairie concède deux petits couacs mis en lumière par l'expérience : le quiproquo autour du slogan "maison à un euro", accrocheur mais inexact, et les réticences des banques à accorder un prêt aux acheteurs, car elles ne connaissaient pas encore ce dispositif.

"La prochaine fois, on essaiera ne nouer un partenariat avec une banque", nous confirme d'ailleurs le maire Guillaume Delbar. En attendant, la Fabrique des quartiers propose déjà des maisons ouvrières rénovées ou à rénover dans le quartier d'Aminthe, comme ce trois pièces tout neuf de 82 m2 pour 119 000 euros. Aujourd'hui, le Pile est toujours un quartier pauvre, mais en devenir, c'est un lieu attachant, où il fait plutôt bon déambuler dans les ruelles, au milieu de charmantes maisons en briques, de murs joliment peints par des street artistes et de garages nichés dans les arrières-cours. La mairie détruit quelques maisons pour l'aérer et casser la forte densité qui le caractérise. Ici ou là, des bâtiments abandonnés indiquent qu'il reste encore pas mal de boulot.