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RÉNOVATION - 4,8 millions de Français-es habitent des logements inchauffables. Le collectif Rénovons revient sur ce qu'il faut faire pour éradiquer ce phénomène.

Depuis le 24 août 2022, les loyers des passoires énergétiques en France sont gelés. En d'autres termes, si vous êtes propriétaire d'un logement classé F ou G, vous ne pouvez plus augmenter le loyer de votre locataire, en vertu de la loi Climat et Résilience, qui veut pousser les Français à effectuer des travaux de rénovation énergétique. Il existe d'ailleurs une pléiade de subventions diverses et variées, un labyrinthe parfois compliqué que nous avons essayé de clarifier dans notre guide complet des subventions.

Mais qui est vraiment concerné par ces problématiques de chauffage qui ont des conséquences sur les finances et la santé des foyers ? Pour le savoir, le ministère de l'Écologie a publié une étude sur le sujet. Nous avons demandé à Danyel Dubreuil, coordinateur du collectif Rénovons, de nous dresser un état des lieux de la précarité énergétique en France et ce qu'il faut faire pour endiguer le problème. Entretien. 

18h39 : Dans l'étude du ministère de la transition écologique, on apprend qu'il existe 4,8 millions de passoires thermiques en France et que 17% des bâtiments sont très énergivores. Comment en est-on arrivé là ? 

Danyel Dubreuil : Cela fait 40 ans que l'on donne en France la priorité à la construction neuve et à la construction de logements sociaux notamment. Ce sujet-là a été peu traité. La question n'était pas le confort du logement mais le nombre de logements et ce n'est que tardivement que l'on a eu des normes de rénovation thermique qui ont été créées. En 1975, elles étaient très très basses. Mais la norme la plus impactante de la rénovation thermique, c'est celle de 2012. On voit une amélioration très nette des rénovations énergétiques après la RT 2012. Avant cela, on a un parc qui s'est lentement dégradé par défaut d'intérêt. 

Ça s'est amélioré dans les années 2000. On a ce lent vieillissement qui commence à peine à s'inverser avec le Grenelle de l'environnement où sont posés les grands objectifs de rénovation énergétique. La question c'est que jusqu'à aujourd'hui, on a une succession d'annonces politiques avec des ambitions sans cesse revues à la hausse mais que l'on reporte chaque année. Les ambitions augmentent mais le contenu des politiques publiques ne montent pas suffisamment en qualité et en cohérence pour pouvoir répondre à ces besoins. Aujourd'hui en 2020 on a la plus grosse enveloppe qui a été allouée à la rénovation énergétique en France, environ 2 milliards par an, contre 800 millions d'avant. 

Qu'est-ce qu'une passoire thermique exactement ? De quoi parle-t-on ? 

Il n'y a pas de définition d'une passoire thermique mais la loi de transition énergétique disait en 2015 que d'ici 2025, il ne faut plus qu'il y ait de logements en classement énergétique F et G sur le marché. On est loin du compte. C'est ce qui nous a permis de définir ce qu'est une passoire énergétique : dans les classements énergétiques F et G, à partir de 330 kWh par mètre carré par an en énergie primaire, on a un logement que l'on peut qualifier d'inchauffable. C'est un logement qui laisse fuiter toute l'énergie pour le chauffer. Cela va engendrer des factures d'énergie qui vont être de plus en plus importantes. 

Car les classes de revenus faibles ont un risque, celui de la précarité énergétique. La précarité énergétique, c'est lorsque l'on consacre plus de 8% de son revenu au chauffage. Cela représente aujourd'hui entre 8 et 10 millions de personnes en France. On a un regroupement de personnes très important qui sont en situation de précarité énergétique et qui vivent dans des passoires. Et là c'est la double peine. Ils ont peu de revenus et vivent dans des logements inchauffables. 

On pense souvent que la précarité énergétique ne touche que les foyers très modestes. Pourtant, les chiffres sont importants. C'est une problématique qui nous concerne tous ? 

On a près de 5 millions de passoires thermiques qui sont essentiellement présentes dans les logements privés et beaucoup des maisons individuelles. Elles sont énormément habitées par des ménages modestes, mais pas que. C'est une problématique sociale importante. Mais c'est un phénomène qui traverse toutes les couches de revenus de la société. 

On voit qu'il y a une distribution spatiale assez particulière des passoires énergétiques avec énormément de zones rurales surreprésentées, ainsi que Paris et la petite couronne. Mais on a d'autres éléments : il y a une surreprésentation des passoires dans les logements chauffés à l'électricité. 54% des logements chauffés à l'électricité sont des passoires énergétiques. 

Quelles sont les conséquences sur la vie des gens qui les habitent ?

Les conséquences vont être d'ordre économique avec des factures énormes, des situations de surendettement. Et ensuite des conséquences physiques et sanitaires très importantes avec des risques de maladies cardiovasculaires, des maladies pulmonaires. Les enfants ont des problèmes dermatologiques, de l'asthme. 

Au-delà du volet social, la rénovation énergétique répond à un impératif écologique. Pourquoi est-ce que cette problématique est-elle aussi importante pour l'environnement ?

Tout simplement car dans les bilans énergétiques et d'émissions de CO2 en France, le secteur du bâtiment et du logement représentent 40% de la consommation énergétique annuelle des Français et 27% des émissions de gaz à effet de serre. Si on a l'intention de tenir nos engagements climatiques d'ici 2050, en baissant notre bilan carbone on a besoin d'accentuer l'effort sur le logement. 

Dans le logement neuf elle est quasiment réglé car les normes de construction sont très peu émettrices. Dans la rénovation énergétique, on a un gros problème d'émission et il faut agir sur les deux leviers, la consommation et les émissions. Est-ce qu'il faut changer une fenêtre ou changer le système de chauffage ? Aujourd'hui on se rend compte que c'est par une approche la plus complète possible qu'on va arriver à atteindre ces objectifs sociaux, environnementaux et sanitaires. 

Le gouvernement a annoncé un plan de relance de 100 milliards d'euros, une partie sera consacrée à la rénovation énergétique. Que préconisez-vous de faire avec cet argent ? Quelle est la priorité ? 

8 milliards d'euros ont été annoncés pour la rénovation des bâtiments dont la plupart sont des bâtiments publics. Une enveloppe d'un demi-milliard va à la rénovation énergétique des logements sociaux. Il ne reste pour le logement privé qu'un milliard additionnel par an. Donc deux milliards sur deux ans. Sachant qu'on a assisté à un recul du même ordre des financements publics depuis deux ans, on va revenir à un niveau d'investissement public de 2018.

En 2018, on disait déjà qu'on était pas au niveau. On estime que ce qu'il faut pour rénover c'est de passer du simple au double si on veut investir et soutenir la rénovation de tous les logements. Il faudrait 4 milliards par an pendant 20 ans pour les passoires énergétiques seulement. Donc on est loin du compte ! 

Mais la vraie question c'est : qu'est ce qui va être financé ? Est-ce que ça va financer davantage le programme Habiter Mieux qui finance les rénovations énergétiques complètes pour les ménages modestes ? Est ce que dans MaPrimeRenov on va avoir une vraie bascule des subventions publiques des aides vers une approche complète ? Ça fait pas mal de questions !