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SOLIDARITÉ - Grâce à l'association Utopia 56, cette parisienne de trente ans prête son deux pièces à des migrants à la rue en son absence.

27 personnes migrantes, hommes, femmes et enfants, ont perdu la vie mercredi 24 novembre après que leur embarcation de fortune a coulé, alors qu'elles tentaient de rejoindre l'Angleterre depuis la Manche. 

Ces drames répétés interpellent, émeuvent, scandalisent et nous sommes de plus en plus nombreux-ses à nous demander ce que nous pouvons faire. Pourquoi ne pas commencer par les aider à dormir au chaud ? Bien que l'État en mette à l'abri un certain nombre, beaucoup d'entre eux passent la nuit dehors, à Paris, Calais mais aussi dans le reste de la France. 

“C'est une aberration qu'il y ait des logements vides alors que des gens sont à la rue”

De nombreuses associations comme Utopia 56 ou Médecins du monde, proposent à celles et ceux qui le souhaitent d'héberger, temporairement ou non, des personnes migrantes. C'est le cas d'Oriane, parisienne de trente ans qui les héberge et accueille dans son deux pièces depuis deux ans. “Je le fais parce que c'est une aberration qu'il y ait des logements vides alors que des gens sont à la rue”, nous raconte-t-elle par téléphone. 

Touchée par le sort réservé aux migrant-es en arrivant en France, la jeune femme met son logement à disposition de l'association Utopia 56 quand elle s'absente plus d'une semaine. En 2019, c'est grâce au post Instagram d'une amie qu'elle prend connaissance de la structure et de ses besoins d'hébergement. Elle les contacte et remplit un formulaire dans lequel elle indique les jours où elle peut recevoir quelqu'un chez elle. Un bénévole de l'association passe ensuite chez elle pour vérifier que le logement est salubre. 

Dans un premier temps, Oriane commence par de l'hébergement ponctuel : elle prête le canapé convertible de son salon pour une nuit, et continue d'occuper son appartement, dont elle est propriétaire. "L'hébergement ponctuel se sont des gens qui sont arrivés à Paris le jour-même et qui sont placés chez des hébergeurs solidaires entre 21h et 22h, après avoir mangé. Ils repartent le lendemain”, précise-t-elle. 

En plus de ses disponibilités, le mardi et le mercredi à l'époque, Oriane doit préciser dans le questionnaire les personnes qu'elle souhaite accueillir. “J'ai dit oui pour les femmes seules, pour les coupes et non pour les hommes seuls ou pour les bébés car mon appartement n'est pas adapté. Et les enfants qui crient toute la nuit, je ne le sentais pas”, nous indique la trentenaire. 

Les migrant-es qui arrivent chez elle dans la soirée, sont généralement très fatigués, “prennent le code wifi, chillent sur leur portable et vont dormir”, raconte Oriane qui reconnaît avoir eu peu d'interaction avec les hébergé-es, puisque la plupart ne parlaient pas français. Les premières personnes qu'elle reçoit chez elle sont une mère et son enfant de 4 ans. Un moment déstabilisant, difficile même pour la jeune femme. “Le soir j'étais allée au cinéma, j'avais payé ma place une dizaine d'euros. Est-ce que je n'aurais pas pu leur donner ? Et le lendemain, quand je leur ai dit au revoir sur le trottoir, on se demande ce qu'ils vont devenir?”.

En effet, il n'est pas possible pour les personnes migrantes de rester plus d'une nuit chez les particuliers. Un moyen de ne pas imposer une charge émotionnelle trop importante aux hébergeurs comme Oriane. “Il ne faut pas créer d'attachement, c'est la règle. Ils partent en même temps que toi le matin, quand tu pars au travail, ils ne peuvent pas rester chez toi quand tu n'es pas là”, souligne-t-elle. 

“Il faut se rendre compte que ces gens-là sont comme toi et moi”

C'est une histoire de changement de canapé qui pousse Oriane à arrêter l'hébergement ponctuel. N'ayant plus de canapé convertible et déstabilisée par une charge émotionnelle “trop forte”, la Parisienne arrête l'hébergement en soirée et laisse son appartement quand elle s'absente pour que des familles suivies par Utopia 56 s'y installent. 

Pendant le confinement de mars 2020, Oriane part dans le sud et l'association place deux femmes pendant deux mois. “Ils te font remplir un formulaire sur les règles de l'appartement, tu donnes le code wifi”, se souvient-elle. La jeune femme ne dispose pas du contact direct des personne qui vivent chez elle, se sont les bénévoles d'Utopia 56 qui lui donnent ponctuellement de leur nouvelle. 

C'est sans appréhension qu'Oriane a laissé les clés de son appartement à des inconnus. “Avoir commencé par de l'hébergement ponctuel m'a permis de me rendre que ce ne sont pas des personnes hors système que tu as chez toi, ce sont des gens qui sont des gens dans une situation de vie compliquée", rappelle-t-elle. 

Elle n'a d'ailleurs pas prévu ses voisins, “c'est comme si je faisais du Airbnb, je n'ai pas à les informer.” Et quid de la loi, les hébergeurs solidaires ne s'exposent-ils pas à des poursuites en recevant chez eux des personnes en situation irrégulière ? Réponse d'Oriane : “il y a un flou juridique sur cette question, par conséquent on ne peut pas être embêté. Ce n'est pas illégal.

Consciente que cette démarche ne soit pas évidente pour le plus grand nombre, Oriane invite celles et ceux qui souhaitent agir à se lancer. “Je sais que tout le monde n'a pas le même rapport à l'espace personnel. Mes parents ont toujours prêté leur voiture, leur maison. Pour moi ce n'est pas un problème de laisser mon appartement à quelqu'un que je ne connais pas”, confie-t-elle. Et l'hébergeuse solidaire d'ajouter : “Il faut se rendre compte que ces gens-là sont comme toi et moi. Ils viennent d'arriver en France et ont besoin d'aide.