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INTERVIEW - Parmi les premières à s'inscrire sur la plateforme en 2012, elle raconte 4 ans de rencontres et de galères dans son livre Faites comme chez vous.

Le livre de Nafissa Tiago se dévore comme un roman, mais tout est vrai. De la fois où un Anglais a fait prendre un bain à son énorme chien, un mastiff, dans la baignoire, à celle où un couple d'Israéliens lui dit de venir tout de suite les chercher à l'aéroport de Beauvais, à 2 heures de chez elle, alors qu'ils avaient rendez-vous sur les Champs-Elysées. Nafissa Tiago retrace les 4 années durant lesquelles elle a accueilli "la planète entière", dans son deux pièces du quartier Montorgueuil, à Paris.

Son métier de scénariste ne lui permettait pas de payer les charges de son logement qui augmentaient. Pour compenser, elle a été l'une des premières en France à s'inscrire sur Airbnb en 2012, louant sa chambre à des centaines de voyageurs pendant qu'elle dormait dans le salon. Pour le meilleur et pour le pire, des anecdotes parfois triviales, parfois dramatiques, mais toujours terriblement humaines.

L'autrice de Faites comme chez vous, paru aux éditions le Nouvel Attila en avril 2021, a toujours fait de son mieux pour que ses hôtes se sentent bien chez elle. Et après cette deuxième vie comme hôtesse Airbnb, elle est bien placée pour savoir ce qui fait que l'on s'y sent bien, chez soi.

18h39 : Qu'est-ce qui vous a séduite au début dans le concept Airbnb ?

Nafissa Tiago : Le site donnait envie, c'était coloré, c'était chaud, ça avait l'air très simple. J'y ai vu des occasions, celle d'ouvrir ma porte à n'importe qui et celle de payer mes factures.

Très vite, j'ai dû réapprendre à gérer mon espace. Ce n'était pas toujours des intrusions mais parfois ça l'a été. Certains touristes m'ont vraiment empêchée d'harmoniser mon espace, ils détournaient des objets selon leur personnalité ou leurs besoins.

Je me souviens de cette dame, une mamie chilienne, qui m'avait emprunté mon porte-serviette en bambou pour s'en servir d'échelle. Elle l'a cassée et j'avais beau me dire que ce n'était pas grave, sur le moment vous avez juste envie d'écrire partout "on touche avec les yeux" ou de mettre une alarme sur chaque objet ! J'étais souvent déçue par le manque de savoir-vivre.

Comment vous sentiez-vous chez vous à force de recevoir des invités, parfois toutes les semaines ?

Je me suis souvent sentie chez moi dans un cul-de-sac ou pire dans une espèce de maison témoin. La maison est jolie pour donner envie aux visiteurs mais à force de toucher elle se dégrade, c'est normal. Je me disais "tu ne peux pas tout avoir, accepte-le". Un peu comme une maman qui s'achète un beau canapé et qui a trois chats et deux enfants. Mais tout n'était pas négatif loin de là !

Certains ont apporté une valeur ajoutée chez moi. Dans ma cuisine par exemple. C'est une pièce qui m'a posé problème car j'y passe très peu de temps, j'adore aller au restaurant, je cuisine très peu. Souvent, mes invités se sont appropriés cet espace et moi je les regardais manier mes ustensiles, apporter des odeurs et des couleurs de leur culture. Pour mon plus grand plaisir aussi ! Ils dressaient la table pour nous et on partageait des moments simples et gourmands. C'est dans ces moments-là que je comprenais pourquoi je voulais faire cette expérience.

Il y a des moments plutôt drôles et d'autres où on a peur pour vous. Comme avec ce touriste qui est venu s'exhiber nu dans votre salon en pleine nuit. Pourquoi avoir continué à recevoir malgré tout ?

C'est comme quand on aime les sports extrêmes, on ne s'arrête pas après une petite chute. C'est très addictif de recevoir des gens de toute la planète et quand on est bien chez soi on a envie de le faire partager. Mais la majorité des voyageurs qui sont venus chez moi, on va dire 70 %, étaient des gens adorables.

Avec le recul, Airbnb c'est plus du business ou une aventure humaine ? 

Ça dépend des gens, j'en ai rencontré des gens qui louaient leur appartement à des prix ridicules, à 15 euros comme moi, quand on loue à ce prix, ce n'est pas pour faire de l'argent, c'est pour rester dans l'esprit collaboratif. Même si c'est vrai qu'on a envie de retenir ces profils qui font payer même le sèche-cheveux. Bien sûr, il y en a qui sont comme ça, mais c'est des gens qui étaient business, marketing et commercial avant Airbnb.

Mais on sent quand même un décalage entre les valeurs affichées par Airbnb et la réalité. Quand vous avez eu un terrible accident, vous ne pouviez pas annuler les séjours déjà programmés, sous peine de payer 100 euros de pénalité par réservation. C'est inhumain !

C'est inhumain mais c'était dans les règles. L'idée de base de Brian Chesky (co-fondateur et directeur général d'Airbnb, ndlr.), elle était peut-être d'inventer une nouvelle forme de voyage. Est-ce qu'il a été dépassé par les évènements ou est ce qu'il l'avait anticipé ? Je doute qu'il se contentait de faire un Couchsurfing (une autre plateforme qui permet de dormir chez des hôtes dans le monde entier, mais gratuitement, ndlr.). Pour moi, il était voué à une entreprise cotée des milliards en bourse.

Est-ce que vous continuez à héberger des gens via Airbnb aujourd'hui ?

Airbnb, c'est terminé même si ça me manque parfois. Je suis tellement contente d'avoir vécu ces 4 années très riches. C'est un peu comme une histoire d'amour, il vaut mieux que ça se termine vraiment.