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VISITE - À Aubervilliers, une cité qui voulait bouleverser la vision du logement social. Un succès.

Depuis la rue, large, passante et un peu grise, qui borde la cité, rien ne pourrait laisser penser que se déploie une construction architecturale séduisante. La maladrerie d'Aubervilliers. Une cité en béton, construite au tournant des années 70-80, qui incarne une utopie sociale, malgré un nom peu engageant.

Son nom est hérité du temps lointain où était érigé un hospice pour soigner les lépreux. Les malades sont partis, le nom est resté... ou presque. “On dit la Mala”, indique Hocine Ben, 43 ans et beaucoup d'années passées dans cette cité.

Un des recoins de la Maladrerie.

Un des recoins de la Maladrerie. © Adèle Ponticelli

J'ai vu la cité se construire, raconte cet acteur-slameur aux yeux azurés et rieurs, ma famille a été une des premières à y habiter”. Aujourd'hui, il la fait découvrir à d'autres, lors de visites de quartier organisées par l'office du tourisme du département de Seine-Saint-Denis.

Un samedi d'octobre, il capte l'attention d'une petite dizaine de personnes de tous âges, réunies autour de lui devant l'entrée de la cité. Mélangeant données historiques et architecturales aux anecdotes de quartier, il transmet son savoir et son attachement au lieu tout au long de la visite.

Il vaut mieux être guidé pour découvrir les trésors de cette cité, car la Mala a quelque chose d'un labyrinthe. Ici une vaste pelouse, là des petits pavés, ailleurs une bibliothèque, une aire de jeux pour enfants, un plan d'eau, 50 ateliers d'artistes très convoités et tellement de passages qu'il est difficile de les dénombrer.

Les allées pavées de la Maladrerie.

Les allées pavées de la Maladrerie. © Adèle Ponticelli

Cette cité, composée presque entièrement de logements sociaux, est l'opposé de barres et tours HLM. Construite en trois étapes, elle a été conçue par des élèves du Corbusier, Jean Renaudie et Renée Gailhoustet. Leur idée est de personnaliser le logement social.

Sur les 850 logements, pas un n'est identique à l'autre, ils sont tous différents. Je m'en suis rendu compte en allant chez les copains / copines quand j'étais enfant”, se souvient Hocine Ben. Il y a des duplex, des triplex, de tout. Seule contrainte commune à tous les appartements : un poteau porteur. Le reste peut être adapté.

Hocine Ben fait visiter son quartier, la Maladrerie, depuis plus de 15 ans.

Hocine Ben fait visiter son quartier, la Maladrerie, depuis plus de 15 ans. © Adèle Ponticelli

Les appartements ont été conçus avec un grand salon central et des pièces tout autour, parfois sans qu'il y ait de porte pour les séparer. Pour les architectes cela reflétait une inspiration maghrébine, un fantasme qui veut que là-bas, on vive toujours tous ensemble.

Résultats, le premier réflexe des habitants lors de leur emménagement est d'installer des portes. Certains rajoutent des cloisons, d'autres en enlèvent. Chacun fait comme bon lui semble pour avoir un appartement qui lui ressemble. “Ici, les gens s'éclatent à meubler leur appart !”.

Maquette d'un appartement, réalisée avec les habitants.

Maquette d'un appartement, réalisée avec les habitants. © Adèle Ponticelli

Autre particularité : les terrasses sont nombreuses et s'élèvent en plateau pour apporter de la verdure à cet univers de béton. “Avec de la bonne terre cultivable, pas de celle récupérée sur le chantier”, précise Hocine Ben qui a pu y planter un potager.

Cela n'enlève pas toute la grisaille inhérente au matériau mais amène une bouffée d'oxygène. Un sentiment renforcé par le fait que la Mala est entièrement piétonne. On y entend le chant des oiseaux... on peut même, si on a de la chance, apercevoir un héron au bord du plan d'eau. 

Plan d'eau de la cité, plus connu sous le nom de "lac de la Maladrerie". © Adèle Ponticelli

Une certaine forme de quiétude en découle. “La cité n'est pas une lieu de deal car le deal a besoin de la circulation automobile pour fonctionner, il se fait à l'extérieur de la cité, explique le guide. En 35 ans, je n'ai jamais vu de violence.

Avec tant de qualités, certains s'étonnent qu'un tel succès n'ait pas fait davantage d'émules.