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MINUTE, PAVILLON ! - Un jeune architecte défend dans une tribune la France pavillonnaire, souvent méprisée par les urbanistes.

En 1962, dans sa célèbre chanson "Little Boxes", Malvina Reynolds s'était déjà moquée vertement des quartiers pavillonnaires de Californie tout juste sortis de terre après la guerre. La chanteuse folk et engagée voyait dans ces "boîtes" identiques alignées les unes à côté des autres un exemple désespérant du conformisme petit bourgeois. Un discours critique assez proche de celui qu'on pourrait entendre en France aujourd'hui, dans la bouche par exemple de l'architecte Christophe Le Gac, qui parle d'un "funeste et pitoyable cadre de vie" à l'intérieur d'une "ville moche" dans la revue L'Architecture d'Aujourd'hui.

Un texte si virulent qu'il a remué les tripes de l'architecte et urbaniste Maxence de Block. Né à Arras et élevé à Achicourt dans une banlieue pavillonnaire de la ville, il dénonce cette vision caricaturale et méprisante des espaces périurbains via une tribune publiée dans la même revue. La monotonie du paysage, la promiscuité de voisins fouineurs, l'absence d'espace public partagé, la surconsommation aveugle... A tous ces reproches, il oppose sa propre expérience d'enfant des ronds-points et des hypermarchés.

Les nouveaux usages du pavillon : plus écolo, plus modulable, plus partagé

"La « France moche », c'est chez moi. J'ai fêté pas mal d'anniversaires à Buffalo Grill, j'ai été habillé à la Halle O Chaussures, j'ai été élevé au rayon bande dessinée d'Auchan et aux DVD de Vidéo Futur." On le comprend, Maxence prend à coeur le sujet. Mais surtout, il s'appuie sur son histoire personnelle pour démontrer à quel point les habitants des banlieues pavillonnaires ont su se réapproprier des espaces en effet pas toujours bien conçus.

Des maisons toutes pareilles ? Au début oui, nous répond-il, mais très vite les habitants les ont remodelé à leur image, ajoutant des extensions ici, rénovant ailleurs, construisant des abris de jardin ou des garages un peu partout. Bref, le paysage se modifie aussi sous l'impulsion des gens et des nouveaux modes de vie, qui les poussent à penser leur pavillon de façon plus autonome, plus écolo et plus modulable (surélévation, extension, densification).

Toute une série de facteurs ont en effet contribué à modifier les usages du pavillon : entre les prix en forte hausse de l'immobilier (même en zone pavillonnaire), le défi de la transition écologique et les nouvelles sociabilités (colocation, télétravail, familles recomposées, etc.), le pavillon a su se réinventer. Il n'est plus rare de voir des familles ou des colocataires partager un grand pavillon, des architectes piloter des projets de maison passive en banlieue, ou encore de jeunes parents fabriquer une extension sur leur terrain pour accueillir leurs parents retraités, à l'image de Julien qui a rénové sa grange pour y loger son père.

Une réponse à la crise de l'habitat en Île-de-France

Pour Maxence de Block, le pavillon peut tout à fait devenir un lieu d'émancipation, même collective. Pas ou peu d'espace public ? ll suffit de détourner des lieux qui n'étaient pas prévus à cet effet, comme un parking d'hypermarché, un rond-point, ou une raquette de retournement. Ici, on fait du roller, on joue au foot, on flirte, on discute, on s'amuse. "Il y a dans tout ça un pouvoir émancipateur que vous ne soupçonnez pas", souligne l'urbaniste pour Vraiment Vraiment, une agence de design d'intérêt général.

Bref, tout est une histoire de volonté humaine, d'investissement personnel, sans lesquels nos habitats ne seraient que des coquilles vides. Il suffit de voir, par exemple, comment le dessinateur Simon Hureau a transformé le jardin sinistre de la maison qu'il avait achetée en oasis de biodiversité pour comprendre à quel point nous avons chacun, à long terme, un impact fort sur notre lieu de vie.

En 2018, l'exposition "Transformations pavillonnaires" au Pavillon de l'Arsenal à Paris visait même à démontrer qu'une réhabilitation intelligente des zones pavillonnaires pouvait répondre au défi de la crise de l'habitat en région parisienne. L'idée est simple : il est plus rentable pour tout le monde d'étendre un pavillon existant que de créer un nouveau logement. Pour l'architecte Benjamin Aubry, "il est possible de bâtir, en plus de ce qui existe, 100 m² de surface de plancher par parcelle sans compter les surélévations, tout en gardant 60 % des jardins. Cela représente environ [...] 2 millions de logements de 70 m²". Bref, la "ville moche" a encore de beaux jours devant elle.