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ÉCOCONSTRUCTION - Quels sont les critères pour construire une maison écologique ? Nous avons posé la question à un architecte, et cela nous a emmenés sur un terrain inattendu.

Article mis à jour le 27 décembre 2019 avec les précisions d'Aurélien Stavy.

Nous vous présentons régulièrement des maisons écologiques, construites par des architectes ou des particuliers. Certains lecteurs nous ont fait remarquer, à juste titre, que l'on pouvait parfois s'interroger sur leur caractère écologique. Est-ce pertinent, par exemple, si elles consomment très peu d'énergie pour le chauffage, mais qu'elles sont construites en partie avec des matériaux non-durables, pour une question de budget ?

Pas d'orthodoxie en matière d'écologie. Dans cette démarche, chaque contribution mérite d'être étudiée, même si elle n'atteint pas la perfection. Il n'empêche que la question continue de tourner dans nos têtes : qu'est-ce, au juste, qu'une maison écologique ?

Nous nous sommes entretenus à ce sujet avec Aurélien Stavy, du cabinet Stavy architectes, engagé dans le développement durable. Nous pensions repartir avec une liste de critères à respecter (matériaux biosourcés et locaux, utilisation d'énergie renouvelable, isolation renforcée au maximum...), mais cette discussion nous a emmenés bien plus loin que prévu.

© Stavy Architectes

18h39 : Comment définissez-vous l'écologie ?

Aurélien Stavy : C'est un mot très générique, on peut y mettre plein de choses différentes. Pour moi, la définition s'est extrêmement précisée ces dernières années. On peut faire des économies d'énergie et être une catastrophe pour la biodiversité. L'écologie est avant tout la création d'un mode de vie compatible avec la préservation de l'écosystème terre, donc on ne peut pas dissocier la diversité des impacts de l'activité humaine :

  • le dérèglement climatique lié aux gaz à effet de serre,
  • l'effondrement de la biodiversité,
  • l'épuisement des ressources non-renouvelables.

Être écolo, c'est adopter un mode de vie qui répond à ces trois enjeux.

À partir de là, qu'est-ce qu'un habitat écologique pour vous ?

C'est un habitat conçu en symbiose avec son environnement, qui s'intègre avec humilité et délicatesse dans l'écosystème. La démarche écologique doit être fondée sur la création de cycles vertueux, la valorisation des ressources locales et renouvelables. L'architecture écologique doit s'opposer à la dictature industrielle du béton et de la laine minérale, et encourager les filières biosourcées et géosourcées (des matériaux premiers, qui demandent peu de transformation, comme la terre et la pierre, ndlr.) qui se développent avec des solutions abordables, comme les systèmes structurels en bois, l'isolation en paille ou en chanvre.

Mais dans ma pratique de l'architecture, je me suis rendu compte que j'avais beau dessiner des projets qui cochaient toutes les cases de l'écologie en apparence, ça ne suffisait pas. Au fil des projets, j'ai changé d'échelle de travail, je suis passé de l'échelle du bâtiment à l'échelle de l'aménagement du territoire : quel est l'impact de ce cadre de vie, quelle place laisse-t-il à la biodiversité ? Quelles conséquences sur les modes de déplacement ?

Dans la plupart des cas, il est beaucoup plus écologique de vivre en centre-ville qu'à la campagne, il faut en finir avec la maison individuelle !

© SOA & STAVY architectes

En quoi la maison individuelle pose-t-elle problème ?

Ce n'est pas la maison individuelle qui pose problème, mais le modèle du lotissement pavillonnaire. Ce type d'aménagement du territoire issue des Trente Glorieuses est une catastrophe écologique pour trois raisons, liées aux trois points évoqués plus haut :

  • Les gaz à effet de serre à cause de la dépendance à la voiture. En centre ville, la densité de population permet de créer des services de proximité accessibles à pied. À l'inverse, les voies de desserte des zones pavillonnaires sont dédiées à la voiture. Les commerces de proximité sont remplacés par des centres commerciaux et leurs parkings à perte de vue.
  • La biodiversité, car avec l'étalement urbain, les zones pavillonnaires suppriment les endroits vraiment sauvages, ajouté à cela les grosses exploitations agricoles, il n'y a plus de refuge pour la biodiversité.
  • Cet étalement est aussi gourmand en ressources non-nenouvelables pour les routes et réseaux… autant d'infrastructures à construire et à entretenir, à grands frais économiques et écologiques.

Un des modèles de vie écologiques à la mode est la quête de l'autarcie : une maison isolée du reste, une production alimentaire en autonomie… Est-ce vraiment écologique ? Peut-être, si on ferme les yeux sur certaines incohérences : l'électricité est souvent produite par panneaux photovoltaïques, dont la fabrication nécessite des métaux rares non-renouvelables et extrêmement polluants à extraire. Mais il est évident que ce mode de vie n'est pas généralisable vue la densité de la population française. Pour un aménagement du territoire durable, les maisons individuelles, même écologiques, ne sont pas la bonne réponse.

Quelle alternative envisagez-vous ?

Beaucoup de gens ont ce rêve de la maison individuelle de type pavillonnaire. Ce qui est important c'est de trouver des alternatives attractives, de montrer les vertus de la densité et de la mutualisation.

Autrement dit : comment voir le voisin comme une opportunité et non comme une contrainte ? Les équipements de proximité sont une première réponse : la densité permet de créer des équipements qui bénéficient à tous (commerce, conciergerie, maison de quartier…). La notion de "service" est fondamentale pour se libérer de la dictature de la propriété : le plus important est-il de "pouvoir" ou d'"avoir" ?

L'habitat groupé permet de mutualiser des espaces qui bénéficient à tous, afin d'offrir de nouveaux usages : buanderie partagée, salle commune, chambre d'amis, espaces de coworking…C'est un des fondements de l'habitat participatif.

D'un point de vue énergétique, faire des maisons mitoyennes, c'est déjà une solution. Deux maisons accolées, c'est deux murs de moins à isoler !

Mais est-ce qu'on ne risque pas de se retrouver entassés les uns sur les autres, comme dans les grands ensembles ?

Le problème des grands ensembles est un problème de conception et de déshumanisation, pas un problème de densité. En réalité, les grands ensembles sont beaucoup moins dense que les centres-villes, car les espaces libres entre les bâtiments sont très importants. Pourtant, il est plus attractif de vivre dans le Paris haussmannien que dans un grand ensemble.

Le problème n'est donc pas la densité, mais la perte de l'échelle humaine. Les grands ensembles ont été conçus comme des machines à habiter, et pas comme des lieux de vie.

Notre travail consiste à créer des lieux de vie à échelle humaine, pour fédérer la solidarité de voisinage. Cela implique deux choses : des logements généreux qui garantissent l'intimité des habitants (absence de vis à vis, isolation acoustique...) afin de ne pas subir le voisinage ; et des espaces communs conviviaux. La densité dépend de la pression foncière : maisons groupées, habitat semi-collectif ou logement collectifs... Il s'agit toujours de nous adapter aux spécificités du site, pour concevoir un lieu de vie attractif et convivial.  

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