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FOUS A VOILIER - Ce jeune couple a tout quitté pour vivre son rêve : vivre sur un bateau et créer l'association Green Sailing pour lutter contre la pollution des déchets.

Quand on appelle Constance au téléphone, elle s'excuse : Clément ne pourra pas nous rejoindre, car il doit réparer le four et le frigo ! Voilà qui donne une idée des galères potentielles qui attendent tous ceux qui se lancent dans un projet aussi ambitieux. Pourtant, la jeune femme ne regrette rien. Son projet, elle le mûrit depuis plusieurs années. Depuis 2019, très exactement, suite à un voyage au Cambodge qui a mis le couple face à la réalité de la pollution des océans.

"Un jour, on a fait du snorkeling et on a vu des petits morceaux de plastique qu'on a confondu avec des poissons... se souvient Constance, ç'a été un choc, une vraie prise de conscience écologique, même si on y était déjà sensibles." Il faudra ensuite une bonne dose d'abnégation, beaucoup de travail et un brin d'insconscience pour que le couple crée l'association Green Sailing, dédiée à la réduction des déchets et la protection de la planète, puis se lance dans l'aventure de ce voilier écolo, baptisé "Fiziout".

"Le terme signifie faire confiance en breton, traduit Constance. Si on avait confiance en rien du tout, on serait encore à Rennes." Un beau symbole en effet, car aujourd'hui, Clément et Constance stationnent en Guadeloupe, où ils animent des ateliers zéro déchet, participent au nettoyage des plages et opèrent des relevés scientifiques pour le Réseau Initiatives des Eco-explorateurs de la Mer (RIEM). Comment ont-ils fait pour mener à bout un tel voyage en pleine période de pandémie ? Comment vivent-ils à bord ? Pour nous, Constance revient sur une année et demie de galères et de joies.

Selfie à tribord ! On aperçoit les panneaux solaires sur le portique tout au fond © Green Sailing
Vue du cockpit du bateau © Green Sailing

Une transatlantique avant les enfants

18h39 : D'où vient le projet Green Sailing, qui est à la fois une association et la découverte d'un mode de vie nomade et écolo ?
Personnellement, l'écologie a toujours été un de mes centres d'intérêt, alors que Clém... On l'appelait "Clemjo la conso" quand je l'ai rencontré ! Il part de loin. Ensuite, on a fait un voyage au Cambodge pour voir des amis, et on a vu la réalité de la pollution en mer. Puis on a déménagé à Rennes, une ville très verte qui nous a donné le déclic !

À cette époque, Clément rêvait de faire la transatlantique [traverser l'océan atlantique en voilier, ndlr], et on s'est dits qu'au lieu d'avoir des enfants tout de suite, on allait monter un projet qui a du sens pour nous. Pour moi, ça ne pouvait pas être que voyager sur un voilier, il fallait ajouter une dimension écologique, et ça s'est fait naturellement. Clément travaille dans les énergies renouvelables, il est ingénieur, et moi j'ai fait de l'associatif, donc on a mêlé les deux facilement.

En janvier 2020, on a fondé l'association, on a changé deux fois d'appart dans le même temps pour économiser, et on a fini par vivre sur le bateau en août 2020. À la base, le chantier était en Bretagne, mais le Covid en mars a tout changé et on l'a délocalisé à Marseille. On avait quitté notre appart et nos boulots, alors pas question d'abandonner à ce moment-là ! Du coup, on est partis de Marseille en août 2020.

Justement, vous parlez d'un chantier : quels ont été les travaux à effectuer ?
C'était indispensable de faire ces travaux, car c'est un bateau de location qui a douze ans, ce qui signifie qu'il ne sortait que pour des demi-journées, un week-end maximum, pas pour de la navigation hauturière [en haute mer, ndlr]. Il n'y avait pas de portique où poser un panneau solaire et aucune énergie renouvelable à bord, il fallait refaire toute l'électricité. Clém' a installé un convertisseur pour 220 volts, installé l'iridium [solution de téléphonie en mer, ndlr], les panneaux solaires, un hydrogénérateur et un désalinisateur.

Quand on navigue, on est toujours dehors, donc parfois on dort dehors, et il y avait zéro prise électrique ! Sur un bateau, l'électricité, c'est une chienlit ! Sans oublier le gréement dormant, les câbles qui retiennent le mat, il fallait tout refaire, idem pour le gréement courant, l'équipement qu'on utilise pour gérer les voiles. Ça casse souvent, il faut réparer, ça fait partie de la nav'. Un bateau comme ça, on met habituellement un an à le préparer, Clément l'a fait en quatre mois !

Les deux poules qui passent le détroit de Gibraltar ! © Green Sailing
Le carré cuisine © Green Sailing
Les bocaux zéro déchet © Green Sailing

Energies renouvelables, zéro déchet et invasion de moucherons

Êtes-vous autonomes en énergie, et quel est votre équipement ?
Le souci, c'est que l'hydrogénérateur nous a lâchés au cours du voyage. On cherchait des projets innovants à tester, on est en partenariat avec Seatronic, qui nous a envoyé un prototype pour un coût réduit, en échange de nos retours. Comme on met le pilotage automatique presque tout le temps, ça réclame beaucoup d'énergie pour l'alimenter en même temps que le frigo... alors quand l'hydro lâche, il faut éteindre le réfrigérateur !

Au mouillage, le soleil brille bien donc ça peut suffire d'avoir les panneaux, mais à refaire on les mettrait dans l'autre sens, en largeur, pour en ajouter deux autres, au cas où ça lâche. Au pire, on utilise le moteur pour recharger, mais ça pollue alors c'est le dernier recours.

Comment faites-vous pour tendre vers le zéro déchet ? Quel est votre bilan ?
Pendant la transatlantique, on a engendré 500 g chacun de déchets non recyclables, des restes de bricolage, du filet de pêche, une barquette de rumsteak... Côté énergie, on a utilisé le moteur environ 12h-15h. Comment on se débrouille pour les déchets? Nous avions pris des poules pour le compost, mais une poule a trépassé aux Canaries. On donne à la seconde nos déchets organiques, mais pas tant que ça, car elle ne mange pas tout. Sur le bateau, on consomme beaucoup de pommes de terre, des oignons, des agrumes, et les poules n'aiment pas ça.

Après, la plupart de nos déchets organiques passent à l'eau : une peau de banane, ça disparaît en trois semaines. On a emporté plein de bocaux cuisinés pour avoir assez de viande pour longtemps et on prend les boissons dans du verre. Le sec, on l'achète en vrac dans des gros contenants, les fruits et légumes aussi. On nous promettait l'enfer pour trouver du vrac lors de nos escales, et en fait on trouve toujours.

À bord, nous avons aussi installé un compost, mais en Guadeloupe, on fait face à une invasion de moucherons. Hélas, on n'a pas trouvé un autre compost dans le coin, sur le port ou ailleurs. Ce serait bien de sensibiliser les ports à la pratique du zéro déchet. Aux Baléares, au bout de chaque ponton, il y a trois poubelles dont une organique, mais en Espagne, le zéro déchet est loin d'être une habitude.

La vie en couple sur un voilier : on ne se drague pas

C'est quoi la vie sur un bateau écolo, vous avez quel espace, quelles affaires ?
Le voilier fait 40 pieds, soit 12 m de long, et 3,85 m de large, il y a trois cabines, deux salles d'eau, un lavabo toilettes, et même une douche. On se douche sur les toilettes dans la seconde. Sinon, il y a un grand carré, qui fait aussi pièce à vivre avec la table à cartes, le coin cuisine, la table à manger, les banquettes et de petites étagères. Enfin, le cockpit quand il fait chaud, ça nous fait une pièce en plus, protégé du soleil.

Je suis plutôt minimaliste, ça me rassure plus de ne pas avoir trop d'affaires. Clém' est habitué à la vie sur un bateau, mais il n'est pas trop minimaliste dans la vie courante, donc il a fait le tri dans les vêtements. Ce qui est dur, c'est l'agencement du bateau. A refaire, on choisirait une cuisine intégrée au carré mais davantage séparée, sinon on se rentre dedans tout le temps. Pour moi le plus dur, c'est la vie au mouillage [quand un bateau s'immobilise à l'aide d'une ancre, ndlr] : nous n'avons qu'une annexe [petite embarcation pour rejoindre la terre], donc si l'un d'entre nous part à terre, l'autre ne peut pas se déplacer, pour aller à la plage par exemple. On ne peut pas non plus aller sur le ponton et passer un coup de fil tranquille.

Durant la transat', on est non stop à deux, c'est une sacrée promiscuité. Pendant la traversée de la Méditerranée, on a eu super froid, donc on était en Damart, avec des tas de couches de vêtements, bref on ne se drague pas, on est coéquipiers. Mais on s'est dits que ça ferait du bien à beaucoup de couples, on prend de l'avance dans la communication ! Certains couples ou certaines amitiés s'arrêtent suite à une transat. On savait qu'on prenait un risque, mais comme on voulait fonder une famille, on se disait que ce serait utile !

Financièrement, vous faites comment ? 
On avait planifié un budget sur trois ans, mais rien ne se passe comme prévu ! On voulait avoir de quoi rentrer en France, se payer une voiture et un appart avec la caution, plus tout ce qu'il faut pour un éventuel enfant, surtout si on n'a pas de boulot. Avant de partir, on a revendu notre voiture, changé d'appartement, entassé des cartons dans une cave chez une copine. Au final, toutes nos économies de retour sont passées dans les travaux !

Il faut relativiser, sinon tu ne fais pas ce genre de projet… N'importe quoi coûte cher sur un bateau et comme tout finit par péter car on vit dessus, ça revient cher. Tout est utilisé beaucoup de fois, bien plus que sur terre. Quand on ajoute à ça l'érosion du soleil et de l'eau de mer, pas étonnant si ça s'abime. Mais pas de stress, on se trouvera un petit boulot pour faire la transition si besoin. Et si notre voyage doit s'écourter, tant pis. On cherche encore des sponsors. On part du principe que quand on veut on peut !

Vous avez quand même réussi à faire la traversée de l'Atlantique ! C'est quoi la suite ?
Oui, nous avons mis 23 jours pour arriver en Guadeloupe ! La Méditerranée, ça n'a pas été un plaisir, c'est humide et froid, avec une grosse houle qui donne le mal de mer et qui fatigue. Contrairement à ce qu'on croit, c'est une mer moins prévisible que l'océan, elle tape fort, car c'est un bassin fermé. La houle est plus tranquille, dans l'océan. 

Maintenant, nous allons rester quelques semaines encore en Guadeloupe, continuer à faire nos relevés quand on croise des déchets macro, ceux qu'on voit à l'oeil nu, des mammifères marins, des oiseaux, de la pollution marine, des relevés de phytoplancton, etc., en attendant de lancer bientôt notre projet de croisière écoresponsable en accueillant du public. Après quoi ce sera la saison des cyclones, on devra se déplacer en Martinique. Mais l'idée, c'est de rester un an aux Antilles, pour travailler avec l'association : ateliers dans les écoles, nettoyages de plage, sensibilisation des plaisanciers grâce à des croisières éco-responsables...